Foi et sciences

3 décembre 2018 Non

« Foi et Sciences : Questionnements réciproques »

(Premier colloque – 4 octobre 2003)

Introduction

Dans son Essai « Vérité et mensonge au sens extra-moral », Friedrich NIETZSCHE écrit en 1883 :
« Il y eut une fois, dans un recoin éloigné de l’univers répandu en d’innombrables systèmes solaires scintillants, un astre sur lequel des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la plus orgueilleuse et la plus mensongère minute de l’« histoire universelle ». Une seule minute, en effet. La nature respira encore un peu et puis l’astre se figea dans la glace, les animaux intelligents durent mourir. – Une fable de ce genre, quelqu’un pourrait l’inventer, mais cette illustration resterait bien au-dessous du fantôme misérable, éphémère, insensé et fortuit que l’intellectuel humain figure au sein de la nature. Des éternités durant il n’a pas existé ; et lorsque c’en sera fini de lui, il ne se sera rien passé de plus. Car ce fameux intellect ne remplit aucune mission au-delà de l’humaine vie. Il n’est qu’humain, et seul son possesseur et producteur le considère avec pathos, comme s’il renfermait le pivot du monde. Or, si nous pouvions comprendre la mouche, nous saurions qu’elle aussi nage à travers l’air avec ce pathos et ressent en soi le centre volant de ce monde. » (Ed. Aubier-Flammarion, 1969)
Nous ne citons pas Nietzsche pour jeter une considération négative sur le savoir. Je suis, au contraire, extrêmement friand de savoir scientifique. Si cette affirmation relativise tout savoir, Nietzsche montre bien que ce savoir est relatif à l’espèce humaine et n’a pas de conséquence fondamentale dans l’univers, si ce n’est d’éclairer l’espèce humaine sur elle-même.
Plus d’un siècle plus tard, les connaissances avancées des sciences permettent à l’être humain d’intervenir en profondeur sur la vie au point de transformer les données de départ. La place de l’homme change-t-elle pour autant? Si, d’ici quelques milliards d’années notre système solaire se refroidit et la vie se fige, comme le pensent les scientifiques, Nietzsche garde raison et sa fable aura été prophétique.
Dans une telle perspective, n’est-ce pas la foi qui garderait la tête haute? La foi qui permet d’espérer que nous participons d’une réalité qui va bien au-delà de ce que notre intelligence peut concevoir?
Mais si le savoir de la science et le savoir de la foi peuvent, l’une induire ce que l’on appelle le progrès, l’autre laisser entrevoir un salut au-delà des contingences de notre condition, elle contribuent, l’une et l’autre, la science et la foi, à mieux comprendre la réalité de la vie, humaine en particulier. Je pose ceci comme un théorème – à vérifier, s’il y a lieu.
Toujours est-il que la question des rapports entre foi et sciences se pose. Aujourd’hui, on se plaît à en souligner la radicale différence : l’objet des sciences étant la réalité saisissable, celui de la foi un Dieu qui reste insaisissable et dont l’existence ne peut être démontrée.
Mais l’opposition est-elle aussi radicale ?  L’une et les autres sont-elles condamnées à évoluer dans un monde radicalement clos et séparé? Ce serait le cas, si les sciences se suffisaient à elles-mêmes, comme on le pensait longtemps. Mais est-ce encore le cas aujourd’hui ?
« La somme des connaissances augmente, mais le sens, personne ne le pense » – dit un scientifique qui en appelle à une réflexion sur l’existence, le devenir de la vie et de l’univers Le questionnement des sciences ouvre un horizon toujours plus vaste, où la foi garde toute sa légitimité.
Jusqu’à quel point, cependant? Les sciences encouragent-elles à la foi, notamment lorsqu’elles buttent sur le hasard – sans définir d’emblée l’objet de cette foi et lui donner un contenu qui serait de l’ordre de la vérité établie de façon mathématique et vérifiable de façon expérimentale?
Il nous faut rappeler que la foi enseignée pendant longtemps par l’Eglise en termes de dogmes était considérée comme une somme de savoir. La somme théologique de Thomas d’Aquin fournit une explication du monde qui était à l’époque la plus scientifique possible. Sans doute faut-il parler de la même manière des textes relatifs à la création.

Pourquoi l’abîme s’est-il ouvert entre la foi et la connaissance ? Parce que l’Eglise n’était pas capable d’intégrer les nouvelles connaissances du monde que fournissaient les mathématiques et l’observation de la terre et de la vie. En somme, parce qu’elle n’a pas su s’adapter ou réadapter ses dogmes. Le mouvement dit des Lumières du 18è siècle n’a pas provoqué la séparation, elle était déjà établie. Les Lumières seraient plutôt une sorte de refus du raidissement de l’Eglise – catholique en particulier, à propos de l’accélération des découvertes et l’indépendance que prenaient les chercheurs.

On peut se demander si l’on doit en rester à cette séparation radicale ou si un dialogue n’était pas bénéfique, à la fois pour les croyants sincères ne redoutant pas la réflexion, et pour les scientifiques qui n’ont pas peur d’une foi qui ne fait pas fi de l’intelligence.

Certains souhaiteront peut-être même reprendre le chemin d’une sorte d’osmose entre sciences et foi. Ceci suppose, bien sûr, qu’une affirmation de la foi n’est jamais définitive et que le champ d’investigation des sciences n’est jamais considéré comme clos.
Voici donc des pistes pour un consensus possible sur quelques considérations qui nous tiennent à cœur et pour ouvrir la voie à de nouveaux questionnements… Nous partageons ce projet avec beaucoup d’autres dont les réflexions nourrissent notre débat.
Ernest Winstein

« Foi et sciences : interpellations réciproques »

Introduction au deuxième colloque « foi et sciences » – 2 octobre 2004

L’opposition apparente entre foi et sciences, qui est une manifestation des temps modernes, est révélatrice d’un problème de pouvoir qui apparaît dès lors que la liberté de pensée se traduit en liberté d’expression – et que, souvent, celle-ci se trouve réprimée ou combattue…
L’idée que l’Eglise pourrait ne pas détenir la vérité ou toute la vérité, à partir du moment où le savoir s’émancipait, notamment au siècle des Lumières », mettait définitivement en question le caractère absolu de son pouvoir.

Luther en était resté à la justification par la foi – à vivre certes, dans le quotidien de la vie, mais qui n’avait pas d’incidence sur l’organisation de la société : il condamna la révolte des paysans. Calvin chercha une organisation de la vie de la cité qui soit articulée avec une foi vécue sur la base de principes « évangéliques ». Aujourd’hui les religions doivent renoncer à un combat pour le pouvoir, mais non pas pour inviter les croyants à se recroqueviller sur eux-mêmes, étant entendu qu’une vie « communautaire » est nécessaire, mais à prendre leur part dans la construction d’un monde qui soit viable pour tous.

Le débat sur les rapports entre foi et sciences voudrait clarifier les rapports entre les domaines de la religion et de la science, souligner leur spécificité et laisser la place à l’interpellation réciproque. Celle-ci, dans le dialogue, permet d’avancer, de progresser. Ceci signifie clairement que non seulement la foi privée évolue, mais aussi les religions, si elles se prêtent à ce dialogue.

Un tel dialogue révèle naturellement des différences d’opinion, de culture,… – et ces différences enrichissent alors le dialogue et  la coexistence, la conscience de notre identité est une condition même du dialogue. Mais ce dialogue est par définition, puisqu’il est ouverture et non repli, la garantie d’un dépassement des intégrismes. Quel est le but de la religion, sinon de nous aider à vivre notre vie en relation avec d’autres, à stimuler l’organisation d’un monde qui soit viable, basé sur le respect et l’émancipation de l’individu (cela n’a rien à voir avec un individualisme qui prônerait l’individu comme centre du monde).

Dans une telle perspective, nous ne saurons accepter aucun totalitarisme religieux, mais nous nous serons tenus de toujours rouvrir, dans la mesure du possible, le questionnement et le dialogue.Ernest Winstein

L’Univers a-t-il un sens?
La cosmologie comme science et comme enquête métaphysique

par Hervé Barreau

 

Conférence donnée le 2 octobre 2004 dans le cadre du 2ème colloque « Foi et sciences »
Colloque organisé par l’Union Protestante Libérale au Foyer Lecoq à Strasbourg
Résumé : La Relativité d’Einstein a permis, au XXè siècle le renouveau de la cosmologie. Celle-ci n’est pas une science comme les autres, puisqu’elle se propose d’englober tout ce qui existe dans l’espace et le temps, non un secteur choisi de la réalité physique. Elle fait, dans cette optique, des hypothèses, qui ont été jusqu’ici heureuses: big-bang, expansion de l’Univers. Elle se heurte, comme toute science, à des difficultés, dont on ne sait pas si elles sont résolubles ou non.
L’Univers déborde le monde humain, car il englobe toute la nature, tout ce qui existe dans l’espace et le temps, l’humanité y étant bien sûr comprise. Beaucoup de philosophes lui accordent peu d’intérêt, car ils ne l’envisagent qu’à partir de l’enquête humaine qui permet de le penser : c’était le cas de l’existentialisme hier, du post-modernisme aujourd’hui, dans la mesure où ce post-modernisme reproche à la modernité scientifique d’avoir laissé croire, ce qui mérite d’être discuté, que la nature existe indépendamment du regard que l’homme porte sur elle. Au contraire, d’autres penseurs font valoir que le monde humain doit être réintégré dans l’Univers pour qu’il puisse connaître la vocation qui lui revient : c’était l’intention de Teilhard de Chardin quand il écrivait Le phénomène humain. Une variante plus radicale et plus agressive de cette attitude consiste à dire que l’homme moderne a abusé du pouvoir qu’il a pris sur la nature et qu’il doit donc s’attendre à une vengeance de sa part. Qu’on penche pour l’une ou pour l’autre de ces attitudes globales, on montre d’ordinaire une grande défiance à l’égard des religions et des croyances qu’elles véhiculent. Les premières sont accusées , dans le premier cas, de faire régresser l’humanité à une sorte de naturalisme, que le mouvement scientifico-technique et la proclamation des droits de l’homme avaient permis de dépasser. Elles sont suspectées, au contraire, dans le second cas, de s’accrocher aux cadres d’une civilisation donnée et, s’il s’agit du judéo-christianisme, de s’identifier à un humanisme occidental, dont les pourfendeurs l’accusent d’y avoir largement collaboré, sinon de l’avoir suscité. En somme le reproche qui leur est fait est inverse : d’un côté on reproche à la foi religieuse d’avoir condamné Galilée; d’un autre côté, on lui reprocherait plutôt de ne pas l’avoir brûlé, du moins en effigie, et de chercher à le récupérer.
Il est clair que de tels débats sont surchargés du souvenir d’événements historiques, qu’ils portent sur l’imputation de responsabilités dont il est difficile d’évaluer, à plusieurs siècles de distance, la portée, et qu’ils mettent en cause des institutions qui cherchent à se justifier, ou qui reconnaissent leurs erreurs, chacune pour leur part. C’est la tâche des historiens d’apporter le plus de lumière possible dans de tels débats, et ce n’est pas à ce genre de travail qu’on se livrera ici. Ce qui intéresse le philosophe, c’est la conception de l’Univers lui-même, tel qu’on peut s’en donner une image à l’aide de nos connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Il suffit de rappeler, à cet égard, qu’au début de l’humanité, la conception de l’Univers était nécessairement religieuse, puisque seule la religion offrait une vision globale du monde de la nature. Alors l’Orient penchait vers un certain naturalisme ou panthéisme, comme on le voit en Chine ou en Inde, et l’Occident vers un certain spiritualisme, comme on le voit encore, au XXème siècle, dans la cosmologie métaphysique de Whitehead. Mais, avant le XXème siècle, il n’était pas possible de fondre ensemble la science et la métaphysique de l’Univers, comme on le verra à propos de la philosophie de Newton. Des auteurs, tels que Descartes, Spinoza, Leibniz, ne pouvaient offrir que des spéculations métaphysiques, intéressantes certes dans leur variété, mais qui n’avaient qu’un lien fort lâche avec la science de leur époque, à l’égard de laquelle elles ne pouvaient viser que la compatibilité. Tout a changé avec l’apparition de la Relativité d’Einstein, qui a permis d’édifier une cosmologie scientifique. Nous verrons que cette cosmologie a de solides bases scientifiques et qu’elle est susceptible de progresser sur les voies qui lui ont été ouvertes. Nous verrons également que cette cosmologie n’offre pas de réponse à certains problèmes qui se posent dans son cadre et qu’à cet égard, la philosophie, une fois de plus, foule des domaines qui étaient autrefois ceux de la religion, en y apportant une précision dont elle est redevable à la science.

1.La cosmologie comme science

On aurait pu croire que la cosmologie scientifique allait commencer avec Newton. La théorie newtonienne de la gravitation avait unifié, en effet, la mécanique céleste avec la mécanique terrestre. Mais elle ne parvenait pas à fournir une vision cohérente de l’Univers. Si on supposait que la densité moyenne de matière était constante partout, on aboutissait à une intensité de champ croissante avec le rayon d’une sphère quelconque, ce qui est impossible. Si on supposait au contraire que l’Univers était une île dans un espace infini, on ne pouvait préserver la longévité de cet Univers qu’en modifiant la loi de Newton pour les grandes distances, ce qui était retomber dans la contradiction. Newton ne s’était pas embarrassé de telles considérations, car sa conception de l’Espace et du Temps absolus, qui pouvait se prévaloir des lois de la mécanique, aboutissait à en faire « des quasi-organes sensoriels de Dieu », sur lesquels l’omnipotence divine pouvait agir à son gré et maintenir, par exemple, la stabilité du système solaire. Newton utilisait sa conception religieuse de l’Univers pour répondre aux difficultés que sa théorie physique pouvait soulever, mais une telle utilisation était peu compatible avec l’esprit de la science moderne.

D’une certaine façon, on peut dire que Kant, en réduisant l’espace et le temps à n’être que des formes de la sensibilité humaine, supprimait les difficultés du système newtonien, mais interdisait , du même coup, la cosmologie comme science. Rien, dans la philosophie kantienne, ne pouvait permetttre de dépasser les antinomies de l’espace et du temps, qui naissaient dès que l’Univers devait les habiter. Au XIXème siècle, le positivisme d’Auguste Comte bannit la cosmologie de la liste des disciplines scientifiques. Seule la Relativité d’Einstein a pu lui faire réintégrer sa place parmi ces disciplines. Il est vrai que ce fut au terme de plusieurs étapes. Tout d’abord, dans la Relativité restreinte, Einstein rétablit les droits de la pratique scientifique, en affirmant que l’espace est ce qu’on mesure avec des bâtons rigides, le temps ce qu’on mesure avec de bonnes horloges. Si on y ajoute les deux principes de la relativité, d’une part, de la constance de la vitesse de la lumière dans tous les systèmes inertiels d’autre part, alors le temps et l’espace absolus volent en éclat, et il faut y substituer un espace-temps, dont aucune partie ne se meut l’une par rapport à l’autre. C’est la première étape. Pour intégrer les systèmes accélérés dans la théorie de la Relativité, il faut les considérer comme mus par des forces gravitationnelles, et considérer celles-ci comme des forces d’inertie, dont l’effet est de déformer l’espace-temps en y produisant des courbures. C’est la deuxième étape, d’où l’on ne voit pas, à première vue, comment une cosmologie nouvelle pourrait en sortir. Et pourtant, puisque la Relativité générale apportait une nouvelle théorie de la gravitation, il était tentant de voir si cette théorie pouvait affronter, mieux que celle de Newton, le problème cosmologique.

C’est à cela que s’appliqua Einstein dès 1916. Et il s’aperçoit que la route est parsemée d’obstacles. D’abord il faut éviter que, comme cela était arrivé avec la cosmologie newtonienne, l’intensité du champ gravitationnel croisse à l’infini, ce qui entraînerait un effondrement. Einstein se heurta à la même difficulté quand, voulant assurer la relativité des masses, c’est-à-dire de l’inertie, il se vit contraint d’introduire des conditions aux limites peu compatibles avec sa théorie, à moins de s’appuyer sur une nouvelle hypothèse, qui brisait le continuum d’espace-temps introduit par la Relativité restreinte et confirmé par la Relativité générale. Cette brisure consistait à découpler le temps de l’espace, c’est-àdire à fermer sur elles-mêmes les trois dimensions spatiales (univers sphérique), et à libérer un temps unique qui mesurerait l’évolution globale du tout. En 1916, Einstein introduisait encore d’autres hypothèses, qui devaient assurer la stabilité spatiale de l’Univers, mais qu’il abandonna par la suite; seule l’idée d’un « temps cosmique », ainsi baptisé par Hermann Weyl en 1923, subsista indemne dans la cosmologie relativiste. Entre temps était intervenu le travail, également séminal, de Friedmann, un météorologiste russe devenu expert en Relativité. En 1922, Friedmann montra que, si l’on tient aux équations de la Relativité générale, et si l’on postule, comme l’avait fait Einstein, l’ homogénéité et l’isotropie de l’espace rempli d’un « gaz » de galaxies, alors la structure de cet espace peut être très varié. Les modèles qu’il proposa, et qui furent étudiés ensuite par Robertson et Walker, autorisent soit l’expansion de l’Univers suivie d’une contraction, soit l’expansion constante au cours d’un temps infini, soit une expansion de cette sorte mais de moins en moins rapide (modèle euclidien). C’était des modèles purement mathématiques, qui ne se préoccupaient pas de trouver une correspondance quelconque tirée de l’observation. Or, dès 1927, Georges Lemaître, un physicien mathématicien belge, ancien élève de l’astronome anglais Eddington, et qui était professeur à l’Université de Louvain, montra qu’il fallait choisir un modèle d’évolution qui tint compte de l’expansion réelle de l’Univers, attestée par l’éloignement réciproque des galaxies, rendu accessible à l’observation par le décalage vers le rouge (red-shift) du spectre de leur rayonnement (effet Döppler). Lemaître ignorait les travaux de Friedmann mais, au courant des travaux relativistes d’Einstein et de de Sitter (astronome hollandais), il était le premier à lier le choix d’un modèle à la convenance des données observationnelles, que dès 1924, mais plus encore en 1929, Hubble mettait en évidence.

Il y a donc trois bases de la cosmologie scientifique contemporaine: le temps cosmique postulé par Einstein, le principe cosmologique, qui postule l’homogénéité et l’isotropie de l’espace cosmique, retenu par Friedmann, l’expansion de l’Univers, introduite par Lemaître, à la suite des observations de Hubble. Cette théorie était très belle, mais elle risquait d’être prise en défaut, car le temps cosmique n’est pas mesurable, le principe cosmologique peut être contredit par une répartition irrégulière des galaxies ou des amas de galaxies, enfin le décalage vers le rouge est susceptible de recevoir une interprétation différente de celle de l’expansion de l’Univers, elle-même fragilisée par l’hypothèse audacieuse de l’explosion initiale, un « big bang » non expliqué.

Commençons par la troisième difficulté, qui exerça longtemps la vigilance des physiciens. Nous sommes si habitués à l’invariance des lois physiques (à laquelle est liée la Relativité d’Einstein) que nous imaginons volontiers un Univers éternel. C’était, dans l’Antiquité, la position d’Aristote. Même Thomas d’Aquin, au Moyen-Age, qui pensait que la raison humaine pouvait prouver l’existence d’un Créateur transcendant, dispensateur de l’être de l’Univers, ne pensait pas que la même raison pouvait prouver l’existence d’un commencement de l’Univers, une vérité dont il réservait la certitude à la foi religieuse. A plus forte raison les physiciens et astronomes modernes n’eurent longtemps que mépris pour ce « big bang », ainsi baptisé par l’astronome Hoyle qui n’y croyait pas, et le chanoine Lemaître, qui y croyait pour des raisons scientifiques, ne fit rien pour le défendre avec des raisons métaphysiques ou religieuses. Il y eut même un groupe de scientifiques, dont Hoyle faisait partie, qui proposa « le principe cosmologique parfait », selon lequel l’Univers n’est pas seulement homogène en tout point de l’espace, mais l’est également en tout instant du temps, d’un temps qui serait infini dans le passé comme dans l’avenir. Pour tenir compte de l’argument fort que les « expansionnistes » tiraient du décalage vers le rouge, les partisans de l’Univers éternel proposaient une création continue de matière, destinée à compenser les effets de l’expansion, qui était donc maintenue. On se demande comment une création « continue » peut être moins mystérieuse qu’une création « instantanée » dans le temps. Mais ce n’est pas une question de théologie, c’est une question de physique et d’astrophysique, à laquelle il appartient à la science de répondre, si elle le peut. Or il apparut que la science en apporta, sinon la preuve, du moins un témoignage frappant : le rayonnement de 2°7 kelvin, découvert par Penzias et Wilson en 1965, qui est un rayonnement de corps noir, s’interprète comme un rayonnement fossile, qui est le reste du découplage entre la matière et le rayonnement, survenu entre 500.000 et 1 million d’années après le Big Bang. La découverte de ce rayonnement, qui avait été prévu par Gamov dès 1948, sonna pratiquement le glas de la théorie de la création continuée. D’ailleurs, d’autres « preuves », tirées de la composition matérielle de l’Univers, se sont accumulées depuis.

La deuxième difficulté est plus sérieuse. Il s’agit du « principe cosmologique » dans son acception habituelle, où seules les dimensions spatiales sont concernées. Il faut reconnaître que les données observationnelles ne sont pas favorables à une homogénéité parfaite, et que cette irrégularité relative à la distribution de la matière peut expliquer la naissance des galaxies et des amas de galaxies, qui n’a pas d’autre explication connue. Mais il reste que la composition globale de la matière dans l’Univers semble homogène, et cela pose une certaine difficulté, car cela contredit les données fournies par la physique quantique des particules élémentaires (qu’il faut faire intervenir impérativement aux premiers stades du développement de l’Univers), laquelle postulerait une inhomogénéité certaine. Pour lever cette difficulté, on a postulé une « inflation » de l’expansion entre 10 -35 et 10 -33 seconde à partir du Big Bang; cette inflation aurait eu, en effet, pour effet de dilater de façon extraordinaire une très petite portion de l’Univers, rendue alors homogène grâce à un rayonnement qui n’avait pas le temps pour se propager plus loin; les autres parties de l’Univers auraient été alors abandonnées à leur sort, sans doute catastrophique. Telle est l’origine de la théorie des Univers bulles, nées d’explosions successives. Si la théorie de l’inflation est exacte en ce qui concerne l’Univers où nous vivons, alors nous n’habitons que l’univers visible, et la plus grande partie de l’univers nous est et nous restera inconnue. Pourquoi pas? Depuis toujours la science bute sur des limites, et il n’est pas étonnant que la science cosmologique, peut-être la plus ambitieuse de toutes, ait elle-même ses limites.

Quant à la première difficulté, relative au temps cosmique, elle n’est pas considérable. En effet, si le temps cosmique ne peut être mesuré, puisqu’il faudrait supposer alors des observateurs munis d’horloges qui s’éloigneraient les uns des autres à la vitesse de l’expansion, il peut du moins être estimé. On l’estime dans une fourchette comprise entre 13 et 18 milliards d’années. On utilise, pour cela, la constante de Hubble, déduite empiriquement, qui règle le mécanisme de l’expansion; on utilise aussi l’âge des étoiles « de première génération » au sein des galaxies, et également l’âge des matériaux radioactifs, notamment de l’uranium. On dispose de méthodes très précises pour déterminer ces différents âges. Il est remarquable que ces différentes méthodes nous permettent de tomber dans la même fourchette. N’est-ce pas une preuve de l’existence du temps cosmique, dont le début est à placer dans le Big Bang ou début de l’expansion, et dont la fin semble inconnue, car, selon les dernières observations, l’expansion aurait tendance à s’accélérer? A quoi est due cette expansion? Plusieurs théories s’affrontent à cet égard. La cosmologie est dépendante sur ce point de la physique théorique, qui ne manque pas de problèmes. D’une certaine façon elle peut même servir de laboratoire d’essai (à l’aide également de modèles « virtuels ») pour cette physique théorique. Là est le champ de l’activité scientifique. Mais nous allons voir que la cosmologie s’offre également à l’investigation métaphysique.

2. La cosmologie comme enquête métaphysique

La science repose sur des principes et sur des constats qui manifestent le bien-fondé de ces principes; c’est pourquoi elle est toujours limitée dans son pouvoir explicatif, même si son progrès est illimité, en ce sens qu’elle peut découvrir de nouveaux principes et parvenir à les mettre en œuvre. De toute façon elle est prisonnière des principes qu’elle a adoptés, et qui ne peuvent s’étendre à la totalité de ce qui existe. Ces limitations apparaissent, avec une certaine évidence, aujourd’hui, dans la connaissance des êtres vivants. Nous avons décrypté le génome humain, et celui d’autres espèces; mais nous ignorons la totalité des mécanismes subtils et divers, qui déclenchent la mise en activité ou en sommeil de ces gènes, aussi bien dans le développement des individus vivants que dans l’évolution des espèces (où il faut postuler d’innombrables remaniements génétiques). Nous avons des indications à ce sujet; nous pouvons reconstituer des chaînes limitées d’événements, mais l’ensemble de cette merveilleuse organisation nous échappe. C’est pourquoi les biotechnologies peuvent prétendre que la science est impuissante à progresser sans leur concours, qui dépend de multiples opportunités.

Cette situation n’est pas nouvelle. Dès le XVIIIème siècle, Kant, qui est un épistémologue averti à défaut d’être un métaphysicien génial, avait bien discerné qu’en raison même de sa méthode, la science ne peut progresser que par sauts et qu’elle doit se guider sur des analogies pour essayer d’aller plus loin. Il était donc en mesure de faire, à cet égard, des distinctions utiles. Il appelait « jugement déterminant » la méthode spécifique de la science, celle dont il a présenté les grands traits dans la doctrine de l’idéalisme transcendantal, et il appelait « jugement réfléchissant » la démarche de la raison qui, impuissante selon lui à déterminer un objet de connaissance, n’en propose pas moins des schèmes pour l’usage de l’entendement, de telle sorte que celui-ci se trouve guidé dans l’élargissement de ses connaissances et dans sa quête de l’universalité. Il allait jusqu’à affirmer: « L’unité formelle suprême, qui repose exclusivement sur des concepts rationnels, est l’unité finale des choses, et l’intérêt spéculatif de la raison nous oblige à considérer tout arrangement dans le monde comme s’il résultait du dessein d’une raison suprême » (Appendice de la Dialectique Transcendantale de la Critique de la raison pure ).

Seulement, tandis qu’il a poursuivi effectivement cet « intérêt spéculatif » de la raison quand il a abordé, dans la Critique de la faculté de juger , l’étude des êtres vivants, Kant n’a pas voulu reconnaître que la finalité, dont il reconnaissait l’importance pour la compréhension des êtres vivants, ressortissait à leur être même et même en constituait la raison d’être. C’est ce dont Whitehead pouvait lui faire, au XXème siècle, le reproche. Chez Kant la science met à son service la métaphysique, au sens ancien du terme (qui en fait une ontologie), et refuse de reconnaître à cette métaphysique une valeur de connaissance objective.

Or la même attitude se retrouve aujourd’hui en cosmologie scientifique, quand il s’agit d’apprécier « l’arrangement » extraordinaire des lois et des conditions initiales qui a permis que notre Univers observable soit, dans les étoiles, l’usine des matériaux de la vie, et, sur certaines planètes, du moins sur la planète Terre, la matrice de la naissance de la vie. Il s’agit ensuite de rendre compte de l’évolution des espèces et de l’éclosion de l’espèce vraiment surprenante qu’est l’espèce humaine, dotée du pouvoir de se retourner, par la médiation de ses connaissances, sur ses origines et de s’interroger sur son destin. Le point remarquable est que, pour s’orienter dans la découverte des étapes de cette magnifique Histoire, on n’ait d’autre ressource que de s’appuyer sur ses résultats, de raisonner a posteriori , de se demander, à partir de notre existence, ce qui l’a rendu possible : c’est ce qu’on appelle le principe anthropique.

Il est clair que le principe anthropique sert « l’intérêt spéculatif de la raison », que Kant avait bien reconnu. Par exemple, nous savons que, parmi les matériaux de la vie, figurent principalement le carbone et l’oxygène, et nous savons aussi que le carbone 12 est formé de 3 noyaux d’hélium, tandis que l’oxygène l’est de 4. Comment se fait-il que, alors qu’il est prouvé que l’oxygène se soit formé à partir du carbone, tout le carbone ne se soit pas converti en oxygène, ce qui aurait rendu impossible, du moins sur notre planète, la naissance de la vie? C’est un vrai problème, qu’on rencontre nécessairement, dès que l’on sait que le carbone est l’atome de base des êtres vivants, et que son existence devait être préservée pour que la vie, telle que nous la connaissons, soit possible. Par un raisonnement finaliste, qui situe l’enjeu irrécusable du problème, nous sommes donc conduits à rechercher quel peut être le mécanisme physico-chimiste qui donne raison de cette préservation du carbone d’un point de vue scientifique. On trouve alors, si l’on est au courant de la physique quantique, qu’un phénomène de « résonance » favorise la formation du carbone, tandis qu’il ne favorise nullement dans la même mesure la formation de l’oxygène, dans le four énergétique qu’est le cœur d’une étoile. De cette façon, un raisonnement à partir de la fin ou du résultat guide la découverte scientifique, comme s’il s’agissait d’un « principe régulateur », au sens que Kant donnait à ces termes. Les astrophysiciens et les physico-chimistes, qui usent de cette façon du « principe anthropique », le prennent dans un sens faible, à savoir que les effets connus doivent nous guider dans la découverte des causes qui sont jusque là inconnues. C’est le même type de raisonnement qui est mis en œuvre par les historiens et les archéologues quand, voulant reconstituer des civilisations disparues, ils utilisent les vestiges que ces dernières nous ont laissés.

Cependant il est clair que le principe anthropique peut être pris dans un autre sens, à savoir « le forme forte » de ce principe qui implique la finalité. Selon cette « forme forte », c’est afin que la genèse de la vie et de l’espèce humaine soit possible, que les matériaux cosmiques ont été fabriqués. Il n’est pas étonnant que des scientifiques eux-mêmes, qui ne se privent pas de réfléchir sur le cours global des choses, adoptent eux-mêmes la « forme forte » de ce principe. Ainsi Freeman Dyson, l’un des protagonistes de la théorie quantique des champs, écrivait en 1971:
« Lorsque nous regardons l’univers et identifions les multiples accidents de la physique et de l’astronomie qui ont travaillé à notre profit, tout semble s’être passé comme si l’Univers devait, en quelque sorte, savoir que nous avions à apparaître »(Scientific American, 225, sept.1951,p.51)

Un peu plus tard, invité à donner les Gifford lectures, qui sont réservées à des auteurs d’orientation spiritualiste, Dyson n’a pas hésité à ranger une telle conclusion dans le registre philosophique, et non dans le registre scientifique, bien qu’elle ne puisse avoir toute sa portée que pour le scientifique qui est au courant de ces « multiples accidents »:
« Comment pouvons-nous réconcilier la prohibition de la finalité dans l’explication des phénomènes avec notre expérience humaine et notre foi dans un dessein universel? Je rends la réconciliation possible en restreignant la portée de la science. Le choix des lois de la nature et le choix des conditions initiales pour l’univers sont des questions qui appartiennent à la méta-science et non à la science. La science est restreinte à l’explication des phénomènes à l’intérieur de l’Univers. La téléologie (c’est-à-dire la finalité) n’est pas interdite quand les explications vont au delà de la science, dans la méta-science » (Infinite in all directions, Perennial Library, 1989,p.296).

Cette réconciliation de la science et de la métaphysique, qui avait été visée par Whitehead dans la première moitié du XXème siècle, semble plus équitable que celle qui avait été offerte par Kant, qui réduisait la métaphysique à être la servante de la science, à une époque où la cosmologie newtonienne butait sur des difficultés que seule la Relativité générale a pu surmonter, on a vu par quels moyens. Ces moyens font aujourd’hui partie de l’équipement de l’astrophysicien, qui n’éprouve plus d’entraves à élever sa pensée au-delà des problèmes scientifiques qui ne cesseront, sans doute, jamais de se poser. C’est le cas, en particulier, de Trinh Xuan Thuan, qui reconnaît au principe anthropique toute sa portée métaphysique dans son ouvrage célèbre, La mélodie secrète (Paris, Gallimard, 1991).

Pour donner une idée de ces arguments métaphysiques, qui peuvent prendre appui sur n’importe quel étage de la formation des matériaux de la vie, il est particulièrement suggestif de se tourner vers les quatre interactions fondamentales de la physique. Cette argumentation ne peut régler, bien sûr, le problème de leur existence, en tant qu’elle serait dérivée d’un unique état plus primitif de la matière. De ce dernier problème la cosmologie scientifique s’occupe toujours. Mais il ne s’agit pas ici d’aller au delà de ce que nous savons, il s’agit de réfléchir sur ce que nous savons déjà et d’en évaluer l’importance pour l’existence de la vie et notre propre existence. Les quatre interactions fondamentales sont gouvernées par des constantes, et c’est sur la valeur de ces constantes que nous pouvons réfléchir, en montrant qu’une faible modification de ces constantes entraînerait un univers où il nous serait impossible de vivre.

S’il s’agit de l’interaction gravitationnelle, une diminution de la constante entraînerait l’inexistence des étoiles supernovae, c’est-à-dire l’inexistence de l’éjection massive d’éléments lourds, dont sont faits les matériaux de la vie. Une augmentation de la constante entraînerait, par contre, des réactions nucléaires si rapides que la durée de vir des étoiles devrait être très courte et qu’il n’y aurait pas de planètes porteuses de vie éventuelle.

S’il s’agit de l’interaction forte une diminution de la constante de couplage entraînerait qu’aucun noyau autre que l’hydrogène ne pourrait exister; par contre une augmentation entraînerait la formation de noyaux très lourds, très stables, et par conséquent l’inexistence de l’atome de carbone ( le raisonnement précédent sur la « résonance » qui favorise la sauvegarde du carbone doit être rattaché à la valeur de cette constante de couplage).

S’il s’agit de l’interaction faible, une diminution de la constante empêcherait la combustion de l’hydrogène dans les étoiles qui conduit à la fabrication d’éléments plus lourds; son augmentation conduirait, par contre, à la transformation totale de l’hydrogène en hélium, sans autre élément.

S’il s’agit de l’interaction électromagnétique, une diminution de la constante rendrait toute liaison chimique impossible; son augmentation rendrait très difficiles les réactions chimiques , et, par conséquent, l’émergence de la vie.

On doit conclure de tout cela qu’un réglage si précis des constantes fondamentales de la nature à tous les niveaux de l’édification atomique et moléculaire, et que divers auteurs poursuivent aux niveaux supramoléculaires de l’activité vivante, ne peut être le fruit du hasard. Ceux qui prétendent le contraire sont obligés de faire appel à une infinité d’univers parallèles, parmi lesquels le nôtre aurait tiré le gros lot (car on ne peut échapper au principe anthropique sous sa « forme faible »). Cette imagination d’univers multiples est à rapprocher de l’imagination d’une création continue et éternelle, invoquée par ceux qui voulaient échapper à l’hypothèse bien fondée d’une création initiale. Dans les deux cas, pour expliquer un fait extraordinaire qu’on a sous les yeux (il s’agit des yeux de l’esprit), on imagine quelque chose de plus extraordinaire encore. Mais une telle fuite ne semble guère raisonnable..

La sagesse consiste plutôt à accorder notre pensée à l’Univers visible, de façon à concevoir ce qui reste invisible, mais qui, selon notre équipement rationnel, a toute raison d’exister. Les Univers parallèles, à supposer qu’ils existent, n’ont pas de raison de nous intéresser, encore moins d’apporter une réponse aux problèmes que nous nous posons, sous la pression des faits, dans notre propre Univers.

De cette façon la sagesse métaphysique, qui répugne à toute supposition arbitraire inventée pour empêcher de penser au delà de la science, nous donne confiance en un Principe créateur et ordonnateur, que les traditions religieuses ont toujours appelé Dieu. La métaphysique n’est pas la religion, mais elle s’intéresse à un domaine qui lui est commun avec cette dernière. Plus précisément, si c’est la finalité qui nous mène à concevoir ce Principe, alors il n’y a aucune raison pour que cette finalité s’inscrive uniquement dans la nature inorganique et la matière vivante. On conçoit tout autant qu’elle doive régner sur la culture. D’ailleurs, si la finalité règne quelque part, c’est bien dans notre esprit, qui répugne absolument à s’engager dans une voie dont il ne saisit pas le but et la fin ultime. Telle est la raison pour laquelle certains veulent que la finalité ne règne que dans le monde humain, et nullement dans la nature. Mais trop de faits, on l’a vu, témoignent en sens contraire.A une époque où l’éthique risque de se trouver bouleversée par les possibilités offertes par les biotechnologies et la médecine dite scientifique, il faut accueillir, semble-t-il, comme un réconfort le message des astres, transmis par la cosmologie métaphysique. En emboîtant le pas à la cosmologie scientifique, la première ne prétend pas se substituer à la seconde; elle lui emprunte seulement des faits, qui montrent à la raison réfléchissante que le message des religions, étouffé dans la civilisation moderne occidentale, se trouve relayé et amplifié par la sagesse tirée des éléments de l’Univers. Un grand dessein, malgré les échecs, est partout détectable. L’Ecriture dit quelque part que, si les prophètes ne parlent pas, les pierres se mettront à parler. Jusqu’à preuve du contraire, ce langage des pierres est interprété par la cosmologie métaphysique.

H.B.

Bibliographie

H.Barreau, « la physique et la nature », Annales Fondation Louis de Broglie, vol. 26, n°1, 2001, 43-53
J.Demaret, Univers, les théories de la cosmologie contemporaine, Aix-en-Provence, Le Mail, 1991
F.Dyson, Infinite in all directions, New York/Cambridge/London, Perennial library, 1989
D.Lambert, Un atome d’Univers, la vie et l’œuvre de Georges Lemaître, Bruxelles, Lessius, 2000
Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, et l’homme créa l’univers, Paris, Gallimard, 1991.

Hervé Barreau

Ancien directeur de recherche 1ère classe au CNRS, avait soutenu en 1982 une thèse sur « la construction de la notion de temps » (Doctorat d’Etat). Il est membre titulaire de l’Académie Internationale de Philosophie des Sciences depuis 1994. Parmi ses publications, et en dehors des articles spécialisés, citons :
Aristote et l’analyse du savoir, Paris, 1972, Seghers
« Bergson et Einstein » dans Etudes Bergsoniennes, vol. X, PUF, pp.73-134, 1973
Le temps, 2ème édition, que sais-je, n°3180, 1996, PUF.
Séparer et rassembler, quand la philosophie dialogue avec les sciences, 2004, édit. Dianoïa, diff. PUF.

 

Observations sur  » L’Intelligence inconnue enfouie sous l’opacité du monde  » (Raymond Abellio, La structure absolue)

par Philippe Kah

L’exposé qui suit repose sur une boutade faite au président Winstein à l’égard des divinités que présentent les livres sacrés et dont les adeptes se détruisent entre eux depuis des siècles : juifs, chrétiens, musulmans. Si ces autorités suprêmes avaient réellement une envergure infinie, absolue, éternelle, elles se fondraient en une seule et ne provoqueraient pas les hécatombes de dizaines de millions d’individus qu’atteste l’histoire – religieuse – de l’Occident.
La boutade en question s’appuie sur une formule d’un des livres de Raymond ABELLIO , publié en 1965, sous le titre : La Structure absolue, dans lequel, page 86, il évoque  » cette Intelligence inconnue enfouie sous l’opacité du monde « .
L’intérêt, le souci, la recherche de la réalité, du Réel – ou de la vérité – se trouvent bien mieux satisfaits par un tel énoncé que par celui de la description d’un dieu menaçant, belliqueux, et exclusif, fort peu transcendant dans sa manière de traiter les relations diplomatiques ou les problèmes humains.
Par ailleurs, comme la connaissance évolue et progresse au fil du temps, les données disponibles il y a trois mille ans ne pouvaient avoir, objectivement, le caractère péremptoire qu’on rencontre dans les oracles qui viennent du ciel alors qu’à la fin du XXe siècle, on est encore dans le doute relativement à cette notion du Réel puisqu’un physicien éminent a pu dire:
 » Comment pourrai-je jamais me forger une idée sensée du vaste monde si je refuse toujours de franchir les frontières sûres de mon pays ?  » (p. 87) puis  » Les principes fondamentaux de la théorie quantique sont la vraie clef des descriptions du réel fournies par la physique contemporaine… Mais, la théorie des champs quantiques, et donc toute la physique contemporaine, n’ont fait que reculer le point d’application du problème fondamental  » (Bernard d’ESPAGNAT, A la Recherche du Réel, 1981).
Si la connaissance fondamentale est en devenir à notre époque, elle ne pouvait être définitive dans un passé lointain. Raymond ABELLIO, quant à lui, est un polytechnicien qui a vécu de 1907 à 1987 et, après Polytechnique, a terminé l’Ecole des Ponts-et-Chaussées, en 1930.
A cette époque, il s’intéresse aux idées révolutionnaires et entreprend une carrière politique jusqu’à la guerre. A l’issue du conflit, il abandonne tout engagement politique et aborde une carrière de romancier où il explore la gnose, les données de la Tradition par une démarche épistémologique en interrogeant la Kabbale, le Yi-King et l’ésotérisme (alchimie, astrologie).
Les titres de ses romans suggèrent la nature de ses explorations :
– Vers un nouveau prophétisme,
– La fosse de Babel,
– Les yeux d’Ezéchiel sont ouverts,
– L’Assomption de l’Europe,
– La Bible document chiffré,
– La fin de l’ésotérisme.

Dans La Structure absolue, son regard sur la notion de  » monde  » le porte à englober la totalité de ses manifestations lesquelles concernent deux données : celle d’infini et d’universel qui reposent toutes deux sur le socle de tout l’édifice scientifique. Mais le terme de science ne satisfait par ABELLIO car il la pose comme uniquement analytique alors que la connaissance implique une dimension synthétique.
La science établit des médiations entre le monde et la conscience alors que la connaissance est prise directe de la conscience sur le monde et pour que cette perspective puisse aboutir, il introduit un terme qui permet d’appréhender l’ensemble des potentialités que recèle le monde : celui de transcendance. Page 14, il écrit :
 » L’ego transcendantal bien au-delà des catégories de la logique formelle, n’est pas comme l’ego banal une sorte d’affirmation distraite du Moi, il est la prise de conscience de la conscience même, un pouvoir vécu, un acte premier qui exige, pour être assumé, une ascèse intellectuelle dont le moins qu’on puisse dire est que sa voie est moins démonstrative qu’intuitive et même illuminative « .
 » Dans un être donné, l’émergence de ce pouvoir n’a rien à voir avec le savoir scientifique accumulé : Heidegger dirait qu’elle est de l’ordre ontologique, non de l’analytique « .
Elle est liée à un niveau de connaissance, non de science. Celle-ci cherche à établir partout des distinctions, des oppositions, elle est réductrice, la connaissance, quant à elle, voit partout des complémentarités, elle est intégratrice.

Ce constat établi, ABELLIO note que les intuitions de la conscience transcendantale – bien qu’immédiate comme toutes les intuitions – sont situées en quelque sorte au-delà de la science, elles sont le fruit d’une science intégrée, incorporée, qui n’a pas plus besoin d’analyser et de déduire que nous n’avons besoin de consulter un manuel de physiognomonie pour lire un visage connu – c’est une science devenue connaissance.
C’est ce nouveau type de validité que nous appelons à l’appui, non plus du concept mais de l’idée de Structure Absolue : cette idée ne peut surgir valablement que pour une conscience transcendantale. Et pour formuler la dimension concrète de son examen, ABELLIO pose la question :
 » Pourquoi l’intelligence et la conscience seraient-elles moins universelles que la gravitation ?  »
Cette image renseigne immédiatement sur la nature du champ dans lequel il se propose d’œuvrer, on aperçoit l’horizon vers lequel il s’engage :  » l’opacité du monde  » inclinant à se mettre à l’écoute du contenu de ce monde : macrocosme et microcosme, et il signale précisément :
 » notre ouvrage paraîtra ainsi se situer au confluent de deux courants que rien ne semble pourtant destiné à rapprocher, celui d’une certaine pratique husserlienne – philosophique – et celui de la tradition ésotérique pour laquelle ce postulat est un dogme indiscuté « .

Inévitablement, la mention de l’ésotérisme a entraîné pour le polytechnicien nombre de critiques et de malentendus qu’il réfute néanmoins adroitement et avec justesse :
 » On a voulu me faire passer pour un ésotériste ‘pur’, alors que l’ésotérisme ne fut jamais pour moi qu’un appui ou un palier dans une montée plus ou moins tâtonnante. Assurément, je crois à l’existence d’une tradition cachée, unique et universelle, vieille comme les siècles, dans laquelle s’enracinent toutes les religions et tous les symboles. Bien que les textes ou les récits qui nous la transmettent ne nous soient parvenus que voilés ou amputés, leur ensemble n’en possède pas moins une force de conversion incontestable qui peut être d’un précieux effet sur les esprits encore encombrés du fatras des religions socialisées et moralisantes « .
L’expression est forte mais en l’examinant de façon impartiale, il y a moyen de constater – au fil du temps et dans l’espace – que le fatras des religions socialisées a formé un écran empêchant l’accès à l’Intelligence inconnue qui imprègne le monde.

Le présent document permet de relever la marque, comme celle d’un chamois dans la neige, ou l’impact, de l’Intelligence inconnue sur un fragment d’univers d’où cette photographie ne doit pas être regardée de façon statique mais dynamique parce que sur le plan physique, le soleil – agent transmetteur de l’énergie qui nous arrive du système solaire, de la galaxie, du cosmos – permet au phénomène de la vie de se manifester à la surface de la planète Terre. La prise de vue est faite au pied du col de Saverne, à la hauteur de l’usine Kuhn dans la direction de la ville, du sud.
La clef du document se révèle par l’ombre portée des poteaux du parking Kuhn sur le revêtement de la route.
Cette surface plane permet donc la manifestation, par le contraste ombre et lumière, du rayonnement solaire composé de chaleur, de photons, de rayons ultra-violets et de particules cosmiques. Ce flux, ou ce champ d’énergie, atteint simultanément et indifféremment les clochers des trois sanctuaires qui ferment l’horizon du panorama : à gauche l’église romane du XIIe siècle, au centre la flèche du temple protestant, et la synagogue à droite.

Lorsque l’on prend conscience du fait que les arbres, les maisons, les roses de la roseraie de ce cliché sont intégrés dans le même champ corpusculaire que les trois édifices religieux, aucun des trois ne peut prétendre à un avantage ou une priorité quelconque sur les deux autres – puisqu’ils sont fréquentés par des fidèles aussi mortels les uns que les autres.

Sur le plan cosmologique, il est donc évident que les divergences, les incompatibilités et surtout les conflits avec leurs millions de victimes qu’ont provoquées – et continuent de provoquer – ces confessions distinctes n’ont pas de sens et ne sont pas justifiables parce que  » on ne peut toujours pas répondre aujourd’hui à la question de la création du monde  » (Jean E. CHARON , Vingt-cinq siècles de cosmologie, p. 198).
On pourrait dire avec Castaneda, anthropologue argentin, que les autorités religieuses empêchent de VOIR – voir juste, ce qui épargnerait fanatisme et ostracisme – voir pour prendre conscience du Réel en se conformant à SES normes à lui et – entre autres – ne pas endommager et détériorer la planète par une voracité inconsidérée.
Dans son livre, Voir, Les enseignements d’un sorcier yaqui, 1973, il rapporte :
 » Au cours de ce second cycle d’apprentissage don Juan s’attacha surtout à m’enseigner comment  » voir » . Il semble bien que son système de connaissance appelait une différence sémantique entre  » voir » et  » regarder » , pour exprimer deux façons distinctes de percevoir.  » Regarder » concernait la manière ordinaire par laquelle nous sommes habitués à percevoir le monde, alors que  » voir » supposait un processus extrêmement complexe grâce auquel  » l’homme de connaissance » pouvait  » voir l’essence » des choses de ce monde « .

Comme ABELLIO le dit à plusieurs reprises, l’  » essence des choses de ce monde  » est d’ordre transcendantal lequel, se réalisant dans l’homme, produit l’harmonie et non la guerre. Au vu de l’Histoire qui atteste qu’elle se renouvelle irrémédiablement, on peut induire la persistance d’un défaut dans la trame des textes fondateurs parce que, incontestablement, les trois religions du livre mentionnées plus haut ne sont pas exemptes d’incitations aux représailles, à la vengeance, à l’éradication par massacre. De plus, si d’aventure le vent cosmique se mettait à souffler en tempête à la vitesse de la lumière sur les trois églises de la petite ville de Saverne, il n’en resterait pas pierre sur pierre et leurs constructeurs seraient tenus de se rendre au constat de J. Krishnamurti :
 » Religions, sectes, groupes, théologies, tout cela finit par devenir fatigant, misérable et laid. Le monde où je vis est un coin du monde qui est tout le monde. En prenant profondément conscience de ce fait, nous sommes tous ‘un’ « . (Entretiens de Saanen, en Suisse, été 1980).

En quelques traits, le regard extérieur d’un lama tibétain permet de discerner la nature du problème :
 » S’il y a une sagesse dans les enseignements sacrés, alors il ne devrait jamais y avoir de guerre. Aussi longtemps que l’on continue la guerre, que l’on essaie de se défendre ou d’attaquer, l’action n’est pas sacrée ; elle est profane, dualiste, c’est la situation d’un champ de bataille. Il ne faudrait tout de même pas attendre des grands enseignements quelque chose d’aussi simpliste « . (Chögyam Trungpa, Pratique de la voie tibétaine, Au-delà du matérialisme spirituel, p. 118).

En scrutant davantage et en approfondissant la problématique religieuse occidentale, on fait la rencontre du professeur Louis ROUGIER qui, dans son étude Du Paradis à l’Utopie (1979) remarque que :
 » L’Eglise a hérité de la Synagogue son dieu exclusif et jaloux. Elle a lancé deux mots, tout gonflés de larmes et de sang, que l’Antiquité païenne n’avait pas connus : anathème et hérétique. Après avoir, avec saint Paul, proclamé l’égalité et la liberté des enfants de Dieu, elle a introduit dans les sociétés occidentales une discrimination plus redoutable que toute ségrégation nationale ou raciale : celle des croyants d’une part, et, d’autre part, celle des juifs, des infidèles, des schismatiques, des hérétiques, des incrédules. Le judaïsme est toléré comme religion témoin, mais dans une situation humiliée. Les infidèles récalcitrants doivent être convertis par la force, comme le furent les Saxons par Charlemagne. Les hérétiques doivent être retranchés de la communauté des fidèles par l’excommunication et de la société des vivants par la mort confiée au bras séculier. Les persécutions des chrétiens par les chrétiens, les querelles des sectes, les guerres de religion déversèrent sur le monde une violence physique et idéologique que le monde antique n’avait pas connue.  » (p. 86).
S’il est instructif de voir de façon concrète et précise comment les  » gardiens de la foi  » – catholique apostolique et romaine – exercent la gestion de leur entreprise, la démarche devient définitivement explicite lorsque l’on voit ces autorités traquer la pensée dans son effort vers la vérité.
Ainsi, Geoffroy VALLEE, né à Orléans en 1550, publie La Béatitude des Chrestiens ou le fléo de la Foy, en 1573. Il est pendu – puis brûlé – le 9 février 1574 à Paris.
La densité de cet ouvrage, qui compte quinze pages, devait être jugée suffisamment importune et gênante pour qu’elle ait entraîné l’élimination de son auteur. Il considère que :
 » Le vray homme, qui a la sapience, est au milieu d’entre eux – les autres qui croient, les Papistes – comme celui qui vit et connaît leur erreur et défaut. Le croire est engendré en eux pour leur ignorance par foy et peur ou crainte qu’on leur donne. Ainsi la foy n’est faute que de congnoissance car où est la congnoissance, la foy est morte et n’a aucun lieu.
Donc le pauvre chrestien se peut bien dire misérable entre tous les hommes de la terre, de ce que son salut, paradis, repos, heur (chance), béatitude, félicité, est fondée sur ignorance et mescongnoissance qui est son croire et sa foy. Et toutesfois disent tousiours qu’ils savent et congnoissent : mais c’est un savoir de beste ou perroquet, ils ne les font que proférer et paroller sans intelligence, avec la crainte qui tousiours les accompagne et entretient « . (page 13).

Quelques années plus tard, Giordano BRUNO, né en 1548, est également liquidé physiquement, brûlé à Rome le 17 février 1600.
D’une exceptionnelle vitalité physique et intellectuelle, il parcourt l’Europe et ses cours royales dans une quête constante de la Vérité, du Réel, de l’Intelligence inconnue qu’à sa manière il désigne par la  » mystérieuse intelligence directrice de l’univers « .
Sa raillerie féroce de tous les dogmatismes, sa réflexion cosmologique tendue vers l’infinité des mondes, sa recherche passionnée de la maîtrise des mécanismes de l’imagination font la fécondité d’une œuvre qui se présente comme un sommet virtuose de l’humanisme de la Renaissance.
Ses trente-neuf livres qui sont une chasse au vrai, au juste, au sens existentiel voulant  » percer à jour l’alphabet utilisé par Dieu  » culminent dans L’Expulsion de la bête triomphante qui est une rupture avec l’ethnocentrisme chrétien où il se moque des rivalités entre les différentes confessions – catholique, calviniste, luthérienne –  » ces sectes ennemies qui s’accusent et se condamnent réciproquement  » p. 130.
Il ridiculise l’espoir d’un retour christique et traite les théologiens de pédants parce que  » lorsqu’on découvre l’infinité du monde, toute timor domini s’évanouit « .

Au siècle suivant, un certain Ferrante PALLAVICINO a la tête tranchée en 1644, à 26 ans, pour avoir écrit Le Divorce céleste, causé par les désordres et les dissolutions de l’Epouse romaine, et dédié à la simplicité des chrestiens scrupuleux.
L’ouvrage traduit et publié à Cologne en 1696, fait état des dérèglements, hypocrisies, infidélités de l’Eglise de Rome au Sauveur qui demande à son souverain Père de lui accorder le divorce d’une telle épouse.
Bien naturellement, toutes les éditions des œuvres de PALLAVICINO furent mises à l’index.
Cette méthodologie administrative ne s’arrête pas au 17e, au 18e au 19e ni au 20e siècle puisqu’en 1907, Alfred LOISY est excommunié pour ses travaux critiques, historiques et exégétiques. Il n’en poursuivra pas moins une carrière brillante au Collège de France pendant 27 ans.
Dans l’un de ses ouvrages, on trouve une synthèse remarquable du canevas sur lequel est tissée la doctrine chrétienne. LOISY écrit :
 » tout rite, même le plus grossier, même le plus absurde, même le plus cruel, et qui n’était rien de tout cela pour ceux qui l’ont adopté et conservé, se maintient, une fois établi, et se perpétue par la force de la tradition ; il changera de sens au besoin, mais il subsistera, considéré comme un élément de l’ordre social et un principe essentiel de la religion. Il a fallu cette puissance de la tradition religieuse pour faire du sacrifice d’un être vivant, rite magique par sa nature et dans son idée première, un moyen régulier de communion et de propitiation divines ; pour le conserver dans la religion israélite, même quand la notion de Dieu rendait superflues de telles pratiques et semblait plutôt les exclure ; pour en pousser au moins l’idée jusque dans la théologie chrétienne, qui s’est ingéniée à trouver dans la mort du Christ une immolation supportant toute l’économie du salut. « La religion d’Israël, p. 103, 1908.

Si les textes religieux ont produit une multiplicité d’interprétations avec, comme corollaire, une multiplicité de groupes confessionnels aux potentialités conflictuelles indéfinies, c’est que ces textes présentent un défaut de cohérence, de justesse, de fiabilité voire de science véritable et s’ils reposent sur une trame aux fibres grossières, absurdes, cruelles, leur résultante chaotique va sans dire.
Pour sortir de la fondrière, ABELLIO permet de prendre de l’altitude, de VOIR par-delà les machinations et les imprécations sectaires, de s’arrêter à une référence irrécusable par le contenu d’un passage de sa Structure absolue :
 » Tout se passe comme si le monde était, en permanence, devant l’homme, comme un pédagogue ou un tuteur proposant un enseignement, un jeu ou une énigme, en sorte que toute perception apparaît comme le produit de la rencontre de deux intentions et non le fruit d’une seule. «  (p. 85).
Le monde comme pédagogue jouant le rôle d’une grille de lecture est une précieuse suggestion et apporte le sens – direction – de la lecture à effectuer.
D’instinct, des  » primitifs  » ont vu, senti, appliqué cette démarche puisqu’ils se passent d’amphigouri dialectique, politique, idéologique, théologique, sociologique et s’expriment avec les accents d’une sagesse authentique et expérimentale :
 » Il est temps que les Indiens fassent connaître au monde ce qu’ils savent… sur la nature et sur Dieu. Je vais donc vous dire ce que je sais et qui je suis. Vous feriez bien de m’écouter. Vous avez tellement à apprendre ! Dieu a tout créé d’une manière si simple. Nos vies sont très simples. Nous faisons ce que nous voulons. La seule loi à laquelle nous devons obéir est la loi naturelle, la loi de Dieu. Nous n’en reconnaissons aucune autre. Nous n’avons pas besoin de votre Eglise. Les Black Hills sont notre Eglise. Nous n’avons pas non plus besoin de votre Bible. Notre Bible ce sont le vent, la pluie et les étoiles. Le monde est une bible ouverte, et nous autres, Indiens, l’étudions depuis des millions et des millions d’années. Nous avons appris que Dieu dirige l’univers, et que tout ce qu’Il a créé a reçu la vie. Même les pierres sont vivantes. Lorsque nous les utilisons dans nos loges de sudation, nous leur parlons, et elles nous répondent. «  (Voix des sages Indiens, Mathew King, Sioux Oglala, 1994, p. 14).

Les réponses que donnent les pierres interrogées par les Amérindiens vont à l’encontre de la conduite, du style de vie des Visages pâles, elles sont en désaccord radical avec leur  » esprit du capitalisme  » et leur libéralisme économique.
Point de galimatias technocratique dans leur discours qui est sans approximations mais précis et lucide :
 » Lorsque les gens ne respecteront plus rien de ce qui existe et n’exprimeront plus leur gratitude au Créateur, alors toute vie sera détruite, et la vie humaine sur cette planète touchera à son terme. Voilà ce qui risque d’arriver aujourd’hui, et nous sommes tous responsables. Chaque être humain a le devoir sacré de veiller sur la santé de Notre Mère la Terre, parce que c’est d’elle que provient toute vie. Afin d’accomplir cette tâche, nous devons reconnaître l’ennemi – celui qui se trouve à l’intérieur de chacun de nous. Nous devons commencer par nous-mêmes. Nous devons vivre en harmonie avec le monde naturel et prendre conscience que sa surexploitation ne peut conduire qu’à notre destruction. Nous ne pouvons plus sacrifier le bien-être des générations à venir à la recherche du profit immédiat. Nous devons nous plier à la loi naturelle, ou subir les conséquences de sa rigueur  » (Léon Shelnandoah, Iroquois, p. 15).

Au début de notre ère le  » Fils de l’Homme  » était manifestement branché sur la même fréquence du Grand Esprit que les Amérindiens puisqu’il a pu conseiller :
 » Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.  » (Matth. 6, 19-21).
Il y a deux mille ans que cette donnée a été exprimée, diffusée, répétée mais trop peu d’auditeurs l’ont comprise et les doctes, clercs, érudits, casuistes ont préféré pendre, brûler, décapiter ceux qui parvenaient à lire les œuvres de l’Intelligence inconnue – ou Dieu – qui a été confisquée.
D’ailleurs, après le premier conflit mondial, Albert SCHWEITZER avait bien perçu l’incohérence des programmes de la spiritualité occidentale en parlant de  » faillite, d’échec et de fiasco de la civilisation  » dans son ouvrage La Civilisation et l’éthique, traduit de Kultur und Ethik, 1923, en 1976.

Pour l’heure, dans cette même optique, il va sans dire que les curseurs sont suffisamment avancés pour démontrer que la théorie de la croissance, la poursuite du progrès sont mal orientées et l’effet de la cécité des Visages pâles va les amener à se planter, et bien.

Philippe Kah

 

Le colloque du 4 octobre 2003 : Rétrospective

 

Dans son introduction, Ernest Winstein fait référence à Nietzsche qui note que l’extinction d’un astre n’a pas de conséquence fondamentale dans le fonctionnement de l’univers et la foi se fait alors le recours qui permet de surmonter la perspective d’une telle échéance.
C’est la question des théologiens : Pourquoi y a-t-il un abîme entre foi et science ? Il faut répondre que l’Eglise n’a pas su s’adapter, jalouse de son pouvoir qu’elle prétendait préserver.
1.     Le professeur Alfred Marx examine les rapports entre Bible et science et signale qu’ils ne constituent plus un problème, l’une et l’autre n’étant pas sur le même plan.
       Dans l’ancien Israël, la compréhension des phénomènes n’était pas établie puisqu’il n’existait pas de mot pour le cerveau, le système nerveux était ignoré et, quant à l’univers, il était imaginé comme une voûte qui fait barrage aux eaux d’en haut…
       En conséquence, que faire des sept jours de la création ?
       Une convergence avec les données scientifiques perd alors son objet et ne serait qu’une vaine recherche au point que l’intention de concilier vérités bibliques et vérités scientifiques devient tout à fait absurde.
       Sa vérité, de la Bible, ne peut se situer que sur le plan du sens de l’existence – « Je me garderai bien d’interroger l’A.T. sur la formation du Soleil » – et suggère à l’individu la manière de se conduire ; l’homme est chargé de gérer la création, non de l’exploiter.
      
2.     Ernest Winstein dégage les positions actuelles d’Albert Jacquard dans son livre Dieu ?
       Scientifique qui essaie de faire le point sur sa foi, Albert Jacquard reconnaît que « trop longtemps, j’ai cru ce qu’on m’a dit » et se heurte à l’ambiguïté qu’entraîne son attitude intérieure, construite par le confort des certitudes de sa foi catholique, et les constats de la science qui obligent à tout réviser.
       A l’évidence, le processus du doute constant fait entrer en conflit le credo judéo-chrétien et les apports de l’observation. En définitive, la question : qui est Dieu ? n’obtiendra pas de réponse puisque – dans l’absolu – les scientifiques n’arrivent pas à le cerner d’autant que le déterminisme atomique ne lui laisse aucune place, ce qu’avait déjà relevé Max Planck.
       Ultime tentative : Jacquard a cherché vainement dans le Nouveau catéchisme une explication aux interrogations contemporaines.
 
3.     Pour Albert Schweitzer, présenté Jean-Paul Sorg, il ne paraît pas que les sciences parviennent à ébranler la foi ; d’ailleurs il avait horreur des affirmations des manuels des sciences naturelles lesquelles esquivent le mystère de la nature.
       Ne pouvant fermer les yeux sur le phénomène de l’évolution, il n’y a pas lieu toutefois de laisser les scientifiques prétendre liquider les principes de la philosophie ni de la théologie car plus on avance, plus s’épaissit le mystère de l’univers dont le jeu aveugle des forces devra toujours être supplanté par le sens éthique.
       Schweitzer reste néanmoins hanté par la destination de l’Être dans sa totalité n’échappant pas nécessairement à la possibilité d’un cataclysme cosmique.
4.     Le professeur Gérard Siegwalt déclare qu’il y a peut-être imbrication des deux domaines science et foi. Selon lui, Dieu est la dimension de transcendance du Réel qui est UN et cette dimension dernière interpelle les scientifiques les obligeant à penser la finalité de leurs recherches. L’été que nous avons vécu peut être une alerte à l’égard d’étés futurs qui seront différents de ceux que nous avons connus.
       La nature résiste à la façon dont nous l’exploitons et les crises que nous provoquons feront obligation de changer de conduite d’où une démarche sapientiale, de l’ordre de l’expérience, serait plus salutaire qu’un mercantilisme effréné.
       Sa conclusion évoque l’approche théologique, prophétique qui, s’appuyant sur le Réel, peut définir une relation critique à la totalité du vécu.
 
5.     Pierre Hecker fait part des activités du groupe PRO-ANIMA dont l’objectif est la recherche de facteurs entraînant des pathologies sanitaires chez les humains.
       Si des centaines de milliers de citoyens sont éliminés chaque année de la vie, il y a lieu d’alerter les responsables sur les failles du système des traitements.
       Par ailleurs, l’utilisation du monde animal pour l’expérimentation des tests n’est pas satisfaisante et incline à des révisions de ces pratiques.
6.     Lothaire Zilliox mentionne la prudence nécessaire dans la démarche scientifique qui ne rend jamais compte de la totalité dans l’étude des sujets.
       Aussi, l’homme qui prétend détenir LA Vérité risque de s’enfoncer dans l’erreur et l’illusion. Le doute est donc nécessaire dans la progression des découvertes, celles-ci stimulées par l’émerveillement qu’inspire la nature dans ses infinies facettes.
       Maintenant que des barbaries sont de retour sous différentes formes, un domaine vital prend de l’importance : celui de l’eau. Ce patrimoine impose une réflexion d’envergure entre tous les partenaires concernés. Croissance démographique et régimes de l’eau sont liés et il s’agit de les gérer judicieusement pour éviter que la planète ne devienne inhabitable.
       Philippe KAH