Questions de société

3 décembre 2018 Non

Les dérives de la science

Compte-rendu de la conférence donnée par Jacques TESTART
le 16 mai 2008 à Sarreguemines dans le cadre des rencontres organisées par l’ association ARDEVIE


par Philippe Kah

Il nous faut avoir l’audace de juger la science qui – aujourd’hui – n’a pas pour but la connaissance. Nous vivons sous le mythe du savant qui, anciennement, savait une multitude de choses.
Actuellement les spécialistes dans leurs différentes disciplines sont pointus sur peu de sujets : donc, ils n’ont plus de vision globale. C’est la technique qui est devenue le but de la science et non plus la connaissance. Ainsi la fonction de la techno science a pour but la maîtrise de la nature. On en est arrivé à cette fausse finalité, but tronqué, qui est lié au marché et non plus à la connaissance. La motivation est de produire des objets utiles. En fait cette activité travaille contre la science qui, fondamentalement, est recherche de la connaissance.

Exigence : les industriels demandent des résultats. Relativement à la santé environnementale, elle n’est pas développée si une découverte peut agir contre des produits fournis par l’industrie pharmaceutique. Nous sommes dans une mystique génétique – sorte de croyance – que les gênes ont un rôle fondamental, alors que les gênes dans leur action ne sont pas compris. Une telle démarche rend la recherche partielle et abandonne quantité d’autres voies d’investigation.
L’ADN est étudié à des fins utilitaires, mais n’est pas examiné dans l’ensemble de ses fonctions.
Le prion, si sa protéine qui compose la molécule ne peut être utilisé dans un ovule vivant (mammouth), la reproduction d’un mammouth sera impossible.
Les Américains font pression pour généraliser l’usage d’OGM et prétendent condamner les  » faucheurs  » plus sévèrement si les maïs sont de  » recherche  » qui consiste à étudier les distances sur lesquelles les pollens pourraient perturber les plantes dans leur croissance : une prétention absurde.
Autre exemple : le saumon transgénique est déformé au niveau de la tête, des yeux, de ses dimensions, et la réaction des producteurs est la suivante :  » ce n’est pas grave, on le vendra sous forme de filet « .

Monsanto rend captive sa clientèle parce qu’elle interdit par son brevet sur le vivant de changer une plante. Il y a un an, les agrocarburants étaient une solution de substitution aux hydrocarbures non renouvelables, alors que la médiocrité du rendement les rend absurdes. On commence à constater que la science compétitive induit un niveau d’éthique très médiocre par les chercheurs qui faussent leurs résultats quand ils sont payés par des industriels. Capital : c’est le sens qui compte dans l’orientation des programmes au sujet desquels les citoyens ne sont pas tenus au courant. Raison : ils ne sont pas compétents selon les  » savants « . Donc une telle démarche n’a rien à voir avec la démocratie.
Ainsi des  » autorités  » décident par avance la forme des recherches à engager sans que les questions des répercussions soient étudiées. Donc le lobbying opère sournoisement, sans objectivité ni neutralité scientifiques ; parce que des intérêts, des profits, devancent la préoccupation fondamentale.
Il y a donc une, ou la, responsabilité sur le long terme qui n’est pas prise en compte parce qu’elle freinerait la compétition de la recherche.

En conséquence la transgenèse de masse nous entraîne dans un monde complètement fou.
Le diagnostic préimplantatoire consiste à produire des ovules dont le nombre, une centaine, permettrait de trier, chez les embryons, celui qui n’aura pas de strabisme.
Pour le sens, ceux qui s’informent – internet -peuvent trouver leur place indépendamment des experts, ceux qui dans les laboratoires font la cuisine.
Par exemple, le docteur Jean-Jacques Melet, un lanceur d’alerte, qui avait dénoncé le mercure dans les plombages, s’est fait radier de l’ordre des médecins et a fini par se suicider en 2005. Il est utile de savoir qu’actuellement 70% des plombages sont encore au mercure.
Le problème de la viande dans l’alimentation est un truc monstrueux du fait de son rendement dérisoire, mieux vaudrait n’en consommer qu’une fois par semaine.
Les lobbies, toujours, au Parlement européen, font pression sur les parlementaires pour orienter les décisions. Comme leurs méfaits sont tendancieux, il importerait d’interdire de tels organismes.

Au terme de l’inventaire de ces différentes observations, des conflits violents sont en perspective et de nombreuses raréfactions des espèces naturelles s’annoncent.
Quant aux conseillers des comités d’éthique, toujours selon le conférencier, les catholiques sont les plus figés et, avec les curés, on a le plus de mal à discuter. Jean-Marie Pelt est un optimiste, ce n’est pas mon cas, parce que je m’aperçois qu’on ne vit pas vraiment en démocratie.

Ph. K.

Jacques TESTART est biologiste, auteur de la première fécondation in vitro en France – Amandine, 1982. Il analyse les implications sociales de la techno science.

Le site de  » Sciences citoyennes  » : http://sciencescitoyennes.org/

USA : Les élections et la religion

Dossier réalisé et présenté le 3 octobre 2008 à Strasbourg

par Nathalie Leroy-Mandart et Zahra Si-Youcef (membres du comité de l’UPL) ;

table-ronde, avec Mme Caroll M. Simpson, pasteur de l’International Church of Strasbourg

et Mme Susan Valliant, Présidente des Democrats Abroad – Strasbourg Chapter

Le sujet : Ronald Reagan, en son temps, fut élu grâce à l’appui des évangélistes, puis ce fut le tour de G.W. Bush. Hillary Clinton révèle qu’elle se lève à 5 heures du matin pour prier. Barack Obama est obligé de rompre avec sa congrégation et surtout son pasteur Jeremiah Wright, de la Trinity United Church of Christ à Chicago, souvent présenté comme son mentor pendant sa jeunesse…
Quels sont ces rapports, qui nous semblent si étranges à nous européens, entre la politique, la vie sociale et l’expression de la religion – doit-on dire religiosité ? – au sein de la première puissance mondiale ?
Au début de l’année 2008, la Radio Suisse Romande a diffusé une série d’émissions sur le thème :  » Etats-Unis, Pays de Dieu « . La dimension religieuse de la campagne électorale aux USA y est exposée par le spécialiste Denis Lacorne, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques à Paris. L’émission  » les dessous des cartes », sur les évangélistes a été diffusée sur ARTE en juin 2008.

Débat : Peut-on dire que la religion se trouve instrumentalisée aux USA ? Quels sont nos propres rapports à la politique et à la religion?

Profils, valeurs et perspectives des candidats aux primaires US 2008

(Dossier réalisé par Nathalie Leroy-Mandart à partir de l’ouvrage de Denis Lacorne  » De la religion en Amérique, Essai d’histoire politique. « )

Mike Huckabee, républicain.
Est le candidat de la droite »morale ». Il a été trois fois gouverneur de l’Arkansas. Il est baptiste de confession et créationniste, est contre l’avortement ( » pro-vie « ) et le mariage homosexuel. Son programme est plutôt social. Son slogan : « Famille, foi, liberté ».

Mitt Romney, républicain.
Ex-gouverneur du Massachussets. Mormon, a été missionnaire en France dans les années 1970, diplômé de Harvard, Romney s’est illustré dans les affaires (il a organisé les JO de Salt Lake City en 2002) avant d’entrer en politique. A activement pris parti pour George Bush en 2004 se présente comme le défenseur des valeurs conservatrices, chères à la droite chrétienne.

Rudolph Giuliani, républicain.
Ex-maire de New York, très populaire depuis le 11 septembre 2001, d’origine catholique, ancien procureur, qualifié d’incorruptible, il est  » pro-choix  » en ce qui concerne l’avortement, a des amis gays, a divorcé trois fois.

John McCain, républicain
Sénateur de l’Arizona. Fils et petit fils d’amiraux de la US navy, vétéran du Vietnam. Protestant  » mainstream  » ( protestantisme traditionnel – évolutionniste ). Conservateur sur les questions militaires et sociales, partisan de la guerre en Irak, hostile à l’IVG, il est en revanche libéral (de gauche) sur les questions fiscales et veut combattre le réchauffement climatique.

Hillary Clinton, démocrate.
Sénatrice de New York, diplômée de Yale, avocate brillante. Protestante. S’est lancée dans la politique dès la fin de carrière de son mari. Ancienne « gauchiste », a soutenu les opérations militaires en Afghanistan, la guerre en Irak, a dit vouloir légitimer la peine de mort et restreindre l’IVG ou encore l’immigration clandestine. Propose l’amélioration de la condition des classes moyennes, l’accessibilité plus large à l’assurance santé, le retrait des troupes américaines en Irak, l’indépendance énergétique.

Barack Obama, démocrate.
Sénateur de l’Illinois. Protestant modéré, de grand-père musulman, de pére agnostique, de mère baptiste. A vécu sa jeunesse en Indonésie, a fait des études brillantes de sciences politiques et de droit à Columbia et Harvard. Progressiste : a demandé l’extension de la couverture médicale aux plus démunis, et défendu la cause des homosexuels, a fait augmenter les fonds pour la lutte contre le Sida. Veut mettre l’accent sur la politique étrangère, mettre fin à la guerre en Irak, rendre la couverture médicale plus accessible, promouvoir les énergies renouvelables, est pro – choix en ce qui concerne l’avortement.
NLM

Les élections américaines et la religion. Eléments statistiques.

(Documentation réunie par Zahra Si-Youcef)

Répartition des religions aux Etats-Unis.

78,4% de la population américaine se dit chrétienne dont :
– dont 51,3%de protestants qui se composent de 26,3% d’évangéliques, 17,2% de baptistes toutes tendances, 6,2% de méthodistes, 4,6% de luthériens et 4,4% de pentecôtistes.
– les catholiques sont 23,9% ce qui représente la plus grande communauté religieuse unifiée.
– les mormons constituent 1,7% de la population à égalité avec les juifs.
– les autres religions : il y a 0,7% de bouddhiste , 0,6% de musulmans, 0,4%
d’hindous.
Les personnes sans affiliation religieuse forment 16,1% dont 1,6% d’athées.

L’article VI de la Constitution. 

Charles Haynes (chargé de recherches politiques au Centre d’étude du premier amendement à la Constitution de l’Université Vanderbilt de Nashville dans le Tennessee) pense que les principes prévus par les constituants pour régir les relations entre la religion et la politique sont contenus dans l’article VI de la Constitution. Les Etats-Unis ayant dépassé le pluralisme à prédominance protestante du XVIIe siècle pour devenir un pays où l’on compte à présent quelque trois mille groupes religieux.

Les paroles de James Madison (1785) sont plus que jamais d’actualité.
 » La religion de chacun donc, doit être laissée aux convictions et à la conscience de chacun ; et il est du droit de chacun de pratiquer selon ses convictions et sa conscience. Ce droit est par nature inaliénable. « 

Les élections 2008 : quelques sondages 

qui peuvent nous donner une vue d’ensemble de la mixité de la religion et de la politique au jour d’aujourd’hui.
Ces sondages ont été publiés entre le 6 et le 19 juin 2008 par le Pew Research Center for the People & the Press et le Pew forum on Religion & Public Life.
Il s’avère que 59% des Américains pensent que l’influence de la religion dans la vie du pays est en déclin, mais son influence dans la vie politique est quelque peu partager : 45% pensent qu’elle décline, et 42% pensent qu’elle augmente. Mais parmi ces 42%, beaucoup insistent pour dire que son influence est néfaste pour les gouvernants et les institutions.
D’autres sondages disent que parmi les Américains, 26% pensent que le Parti Démocrate est  » religieux  » et que 47% du Parti Républicain l’est. Ce chiffre de 47% est en baisse par rapport à l’année précédente (55%) – une grande part de cet effondrement est due aux blancs évangéliques.

Perspective

En 2004, Bush a recueilli 78% des voix des blancs évangéliques pratiquants et 64% des chrétiens toutes églises confondues. L’élection de 2008 est différente, car en choisissant Obama, les démocrates se sont donnés plus de chance par rapport à Hillary Clinton qui pour un grand nombre de conservateurs incarnait une gauche ultralibérale en matière de mœurs. D’autre part, Obama incarne le retour des démocrates dans le champ religieux (cf. notamment son discours du 28 juin 2006 qu’il adonné à Washington sur la question de la foi et comment il vit la sienne aussi bien dans sa vie privée que politique). Sur sa vidéo destinée aux milieux religieux, Obama est catégorique :  » Nous allons faire ici sur terre le boulot de Dieu « .

Etat actuel des sondages

Juin 2008. Obama arrive en tête pour l’ensemble des Américains (48% contre 40% pour McCain et 11% d’indécis). Mais par contre, il arrive très loin devant lui en ce qui concerne les non affiliés à une religion (67% contre 24%).
Pour l’ensemble des croyants, il conserve une légère avance de 45% contre 43%.
Pour l’électorat blanc, McCain est en tête avec :
– 61% d’intentions chez les évangéliques (contre 25% à Obama)
– 53% chez les protestants  » classiques  »
– 46% chez les catholiques non latinos
Pour ces deux derniers groupes, Obama ne recueillerait que 40% des suffrages.

Conclusion, les Blancs veulent un président républicain, et Obama ne remporterait qu’avec les voix des non-blancs c’est-à-dire Hispaniques et Noirs principalement.
Les pratiquants donnent leurs voix plus volontiers à McCain (46% contre 40% à Obama en particulier les Blancs 57%), mais les pourcentages s’inversent auprès des croyants non pratiquants qui mettent Obama en tête même chez les Blancs à 52%.

Z. S-Y.

Le rôle de la religion dans la campagne électorale américaine

Ce qu’en pense Carol Simpson, pasteur.*

La Constitution des Etats-Unis garantit la séparation de l’église et de l’Etat. La liberté religieuse est un des droits fondamentaux de ce document.
Néanmoins, la ligne qui sépare la religion et la politique n’a jamais été aussi floue.

Même lors des élections du premier tour, 10 % des commentaires parus dans les medias concernaient la religion et les croyances des candidats!

Très tôt on leur posait aux candidats des questions sur leur manière de se situer par rapport à la religion…

Mitt Romney, un des candidats du début de cette campagne, est Mormon. Vu les scandales au printemps concernant les enfants et la polygamie, il était peu probable que Romney eusse pu être élu.

Il est intéressant de noter que John McCain et Barack Obama se sont présentés ensemble, pour la première fois, lors d’un forum à Saddleback Church, une des plus grandes  » mégachurches  » de l’état de Californie. Chacun cherchant à gagner les votes des  » evangelicals « .

Nous avons entendu les insinuations et accusations des républicains concernant le passé de Barack Obama, essayant de le caractériser comme musulman… sachant qu’après le 11 septembre 2001 l’Islam est (malheureusement) étroitement lié dans l’esprit des gens au terrorisme.
Ils ont même fait circuler des photos de sa femme, Michelle, portant une robe qui évoquait, elle aussi, cette image de l’Islam.

Barack a dû prendre ses distances par rapport à son ancien pasteur, Rév. Jeremiah Wright, après ses remarques inflammatoires et discriminatoires.

John McCain a désavoué le soutien de plusieurs pasteurs controversés.

Sarah Palin a évoqué dès le premier jour ses croyances… affirmant que la guerre en Irak est la volonté de Dieu !
– Selon elle, c’est la volonté de Dieu que nous construisions un gazoduc à travers l’Alaska!
– Elle suggère que les gens de foi devraient s’accorder avec sa politique concernant l’énergie, sinon ils risqueront la colère de Dieu. Il va sans dire que beaucoup de gens de foi ont des points de vue très divers à ce sujet.
– Elle propose que l’évolution ne devrait pas être enseignée dans les écoles. Sa politique concernant le planning familial est aussi étroitement liée à ses croyances religieuses
Il est impossible d’imaginer que ses croyances ne joueraient pas un rôle énorme dans ses décisions et sa politique.

On a vu, lors de cette campagne, des candidats critiquant la foi ou les traditions religieuses de leurs adversaires.

Quelques prêtres ont refusé la sainte cène aux croyants à cause de leurs positions politiques.
Et le 28 septembre dernier, une trentaine de pasteurs ont défié la loi qui interdit l’endossement d’un candidat…les pasteurs et leurs églises risquent ainsi de perdre leur statut non imposable.

Nous allons entendre beaucoup de propos au courant de ce dernier mois au sujet des croyances de nos candidats et leurs rapports à la politique. Espérons que la public puisse distinguer les mérites des candidats concernant l’environnement, l’économie, la politique étrangère et tant d’autres choses, et non seulement leur théologie ou leur religiosité.

Carol Simpson
3 octobre 2008
* Mme Caroll M. Simpson est pasteur de l’International Church of Strasbourg.

Religion et politique aux USA

Ce qu’en pense Suzan Vaillant*

La religion doit-elle intervenir en matière de politique ?

On assiste à une inversion de tendance parmi les américains qui pratiquent une religion (y compris les évangeliques, etc.) : en 2008, la majorité (56 pour cent) sont contre l’intervention de la religion dans la politique (en 1995, ils étaient une minorité – 45 %.) (source Pew Forum on Religion and Public Life…www.pewforum.org une ressource très riche sur le sujet)

Avantage fiscal

Les églises (mainstream ou pas) sont exonérées des impôts mais pour bénéficier de l’exonération, elles doivent rester en dehors de la politique ; cette année, six pasteurs refusent cette réglementation et soutiennent publiquement un candidat (McCain…)

La Constitution

garantit la séparation de la religion de l’état et favorise expressément la pluralisme religieux ; elle refuse la domination d’une religion sur les autres. De ce fait, tout politicien (ou autre personne) qui essaie d’imposer sa foi comme dominante voire unique dans la vie publique agit de façon anti-américaine.

Les Unitariens

Je n’ai pas de réponse concernant la place actuelle des Unitariens – très présents dans les années soixante lors de la lutte pour les droits civiques. Mais il existe le NSP network de spiritual progressives http://www.spiritualprogressives.org/, une voix pluraliste contre la domination des fondamentalistes.

Instrumentalisation

Les églises et la religion continuent d’être instrumentalisées par le parti républicain et l’extrême droite pour prendre et maintenir le pouvoir politique aux USA ; ceci depuis 40 ans.

Dialogue obligé

Les candidats sont « obligés » d’aller parler publiquement avec les pasteurs des « méga-church », car ceux-ci peuvent ramasser des fonds énormes (600 millions de dollars pour cinq parmi elles en 2007), qu’ils utilisent ensuite pour influencer les électeurs de leurs congrégations (par milliers grâce à la télévision) ; les candidats montrent ainsi qu’eux aussi sont de fervents croyants… bien que, selon la Constitution, aucun examen religieux ne sera « jamais exigé » d’un candidat à une fonction publique – le mot « jamais » se trouve dans le texte (à l’Article VI), la Constitution est formelle sur ce point.

Suzan Vaillant
3 octobre 2008
* Mme Susan Vaillant est Présidente de Democrats Abroad – Strasbourg Chapter.

 

USA : Les principes républicains et la réalité

L’engouement des hommes ou femmes politiques des Etats-Unis pour la religion nous interpelle. Nous, les Européens. Nous, les Français qui sommes fiers de la laïcité de notre République. La rencontre organisée au Foyer Lecocq à Strasbourg ce 3 octobre 2008 par l’Union Protestante Libérale, et notamment la documentation exposée par Nathalie Leroy-Mandart – s’appuyant sur les thèses de Denis Lacorne, enseignant à l’Institut Politique de Paris, développées dans son ouvrage :  » De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique  » – et Zahra Si-Youcef, ont permis de mieux se mettre au diapason de la réalité.

Nous avons l’habitude d’aborder la question des rapports entre la politique et la religion avec l’éclairage qu’en donnent les médias, c’est-à-dire une présentation sélective et orientée, qui prend en compte avant tout le pouvoir en place, prioritairement ses excès. Or, la réalité est bien plus complexe.

Des indications statistiques (présentées par Zahra Si-Youcef) mettent en évidence le fort attachement des citoyens des USA à la religion : 78,4% de la population américaine se disent chrétiens. Les protestants, majoritaires, constituent un ensemble très multicolore où les  » évangéliques  » et les baptistes sont dominants.
Les positions des républicains sont effectivement nettement plus traditionnelles, empreintes de fondamentalisme biblique. Mais comment réagit l’électorat ? En 2004, Bush a recueilli 78% des voix des blancs évangéliques pratiquants et 64% des chrétiens toutes églises confondues. En juin 2008, Obama arrive en tête dans les sondages pour l’ensemble des Américains (48% contre 40% pour McCain et 11% d’indécis), mais il arrive très loin devant lui en ce qui concerne les non affiliés à une religion (67% contre 24%). Les pratiquants donnent leurs voix plus volontiers à McCain (46% contre 40% à Obama en particulier les Blancs 57%), mais les pourcentages s’inversent auprès des croyants non pratiquants qui mettent Obama en tête même chez les Blancs à 52%.
Si Obama va s’appuyer sur les Hispaniques et les Noirs, il s’ouvre aussi en direction des plus traditionnels : Sur sa vidéo destinée aux milieux religieux, Obama est catégorique :  » Nous allons faire ici sur terre le boulot de Dieu « .
Les références idéologiques, intellectuelles et laïques, issues des Lumières du XVIIIè s. sont à l’origine des textes constitutionnels des USA – et vont de pair avec l’extrême religiosité de certains pèlerins puritains et leurs exigences éthiques et morales.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
La Constitution garantit la séparation de la religion et de l’Etat et favorise expressément le pluralisme religieux ; elle refuse la domination d’une religion sur les autres. C’est ce que rappelle et souligne Suzan Vaillant, présidente de Democrats Abroad – Strasbourg.  » De ce fait, tout politicien (ou autre personne) qui essaie d’imposer sa foi comme dominante, voire unique, dans la vie publique agit de façon anti-américaine « .
La réalité pourtant est plus douteuse. N’est-ce pas la droite républicaine qui instrumentalise le plus la religion et les églises ? Et puis, ces rapports ne fonctionnent ils pas suivant le mode donnant-donnant ?  » Il est intéressant de noter que la première fois que John McCain et Barack Obama se sont présentés ensemble était lors d’un forum à Saddleback Church, une des plus grandes  » mégachurches  » de l’état de Californie, chacun cherchant à gagner les votes des  » evangelicals  » constate Caroll M. Simpson, pasteur de l’International Church of Strasbourg.
Et Suzan Vaillant ajoute que les pasteurs des « méga-church » peuvent ramasser des fonds énormes (600 millions de dollars pour cinq parmi elles en 2007), utilisés ensuite pour influencer les électeurs de leurs congrégations (par milliers grâce à la télévision) ; les candidats montrent ainsi qu’eux aussi sont de fervents croyants… bien que selon la Constitution, aucun examen religieux ne sera « jamais exigé » d’un candidat à une fonction publique (« public office ») – « jamais » est dans le texte, la Constitution est formelle sur ce point « .

On se gardera de répondre définitivement à la question de savoir qui, des politiques ou de la religion, instrumentalise  » qui  » ou quoi. Les convictions religieuses des candidats ou élus politiques expliquent certains de leurs comportements, choix et décisions. La tentation d’instrumentaliser la religion pour s’en servir a toujours été grande, à travers l’histoire. Mais l’opinion publique américaine est certainement moins malléable que l’on pourrait le penser.

Globalement, la formule de James Madison (1785) reste plus que jamais d’actualité :  » La religion de chacun donc, doit être laissée aux convictions et à la conscience de chacun ; et il est du droit de chacun de pratiquer selon ses convictions et sa conscience. Ce droit est par nature inaliénable.  »
Les événements tragiques du 11 novembre 2001 auront favorisé le renforcement d’une certaine idéologie religieuse. Mais le réalisme reprend vite le dessus : Aujourd’hui, les soucis quant à l’avenir économique et financier, donc à l’avenir tout court, pèsent davantage que la religion. Plutôt qu’à des prises de pouvoirs, les religions auront à encourager les citoyens à l’engagement civique responsable, dans le droit fil de l’exemple du maître de Nazareth.

Ernest Winstein

Europe 2007 : Quelle solidarité? Quelle volonté politique et quelles structures ?

Jadis, c’était du temps de la guerre froide, les Eglises exprimaient leur idéal d’une Europe unie. Celles de l’Ouest témoignaient leur solidarité envers les frères de l’Est. Elles avaient soutenu, dès les années 50, le processus de dialogue qui avait abouti à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération.
Nos gouvernements témoignaient dans le même sens – avec ce souci de ne pas trop froisser l’autre grand vainqueur de la guerre. Cette notion de solidarité aura résisté assez longtemps, et jusqu’aux élargissements récents, en passant par l’intégration à l’OTAN d’anciens pays du Pacte de Varsovie.
Aujourd’hui, suffit-il d’un consensus de gestion des questions économiques communes pour relayer cette solidarité? La solidarité jouerait-elle encore, juste quand il s’agit de préserver les intérêts nationaux de chacune des composantes européennes, vis-à-vis de la concurrence des nations montantes plus loin dans le monde ?
Le « non » français et hollandais a gelé le processus. Coup d’arrêt au moment même où l’on continuait d’élargir l’Europe. Le repli identitaire national est-il un passage obligé sur la voie de la construction européenne? L’idéal des promoteurs s’est-il perdu, parce que des intérêts particuliers seraient en jeu? Difficile de justifier les positions de blocage. La volonté de statut quo officialise une sorte de zone de libre échange amélioré, dont on se satisfait bien mieux que de l’idée d’un gouvernement réellement politique de l’Europe, à travers lequel puisse s’exprimer la volonté des citoyens européens.
Mais y a-t-il encore un idéal à la clé de la construction européenne? Il faut le dire : les « pères » fondateurs voulaient une Europe fraternelle qui ne se détruise plus de l’intérieur. Les identités particulières sont absolument respectables et à respecter. Mais la construction d’un destin commun suppose une volonté commune qui s’exprime par un gouvernement capable d’agir, sans requérir l’unanimité de tous les Etats. C’est ce que l’on appelle un pouvoir politique. Il suppose que les Etats cèdent une partie de leur pouvoirs à ce pouvoir supra-national.
Quelles sont les solutions proposées? Le débat électoral préliminaire aux élections présidentielles en France était resté remarquablement discret au sujet des grands enjeux internationaux. Nous avions droit, en fin de parcours, à une mention furtive sur l’Europe pour dire « notre vocation européenne » (N. Sarkozy) ou l’intention de faire de la France « l’avant-garde d’une Europe sociale qui lutte contre les délocalisations et protège la planète » (S. Royal). Et ceux qui revendiquaient clairement une Europe gouvernée par des représentants démocratiques ne sont pas passés en finale.
Que les Eglises ne fassent pas le même choix d’une position molle, mais aient le courage d’affirmer que la construction d’une société viable et juste, qu’il s’agisse de la France, ou de l’Europe, ou du tissus mondial, suppose des renoncements à des pouvoirs, à des privilèges, qu’il convient de nous y préparer et d’exiger un débat clair. Que ceux qui ne veulent pas d’une Europe politique le disent clairement. Et que les militants qui lui sont favorables s’organisent pour la construire.

Ernest Winstein

L’EUROPE en crise d’identité

Nous savions l’Europe en crise. Après le « non » français au traité « constitutionnel » européen, l’on est enclin à penser qu’il s’agit d’une crise politique. Certes, il y a plus : L’on a parlé de crise de confiance dans le « politique ». Mais à une époque de démocratie avancée, où le « peuple » détermine, en principe, le cours des événements et de l’histoire, il ne peut s’agir que d’une crise de confiance en nous -mêmes : En somme, l’Europe a des doutes au sujet de sa propre identité !
L’on a voulu passer par un « réglage » économique de l’Europe. Pour parvenir à quoi ? Sans pouvoir politique véritable basé sur un fonctionnement démocratique, fonctionnant dans le respect des règles démocratiques, l’on restera dans le provisoire – un provisoire qui dure depuis trop longtemps, déjà.

Nous n’avions pas pensé à la crise d’identité « culturelle ». Mme Meyer nous y aura rendus attentifs et rappelle quelques unes de nos racines lointaines, pour tenter de faire l’analyse de la situation contemporaine. Celle-ci est certes, complexe. La conscience de nos racines historico-culturelles ne peut que nous y aider. La diversité des cultures dont nous sommes les héritiers ne peut alors être considérée comme un handicap, mais devrait être comprise comme une richesse à sauvegarder !
Quels choix économiques sont nécessaires pour avancer ? Par qui seront-ils mis en œuvre, sinon par un pouvoir politique !
Mme Meyer a bien voulu nous communiquer le texte ci-dessous. Nous l’en remercions vivement.

Ernest Winstein

L’EUROPE en crise d’identité culturelle

Par Michelle MEYER*
Conférence donnée dans le cadre des rencontres de l’ Union Protestante Libérale (UPL), au Foyer Lecocq à Strasbourg, le 24 novembre 2006, à l’initiative de l’association « EUCKEA » et de l’ UPL.
Europe, péninsule de l’Eurasie.

Ses habitants l’appelleront Europe au cours du XVIème siècle donc dans une Renaissance bien avancée. L’origine du nom viendrait de la Grèce antique, une princesse phénicienne Europe aurait été enlevée par Zeus pour la transporter en Crète, elle donnera naissance à Minos. C’est donc le nom d’une reine mythologique et non pas un terme de géographie.

Au 1er siècle avant Jésus-Christ, on désigne par Europe les terres au nord du Détroit du Bosphore. Au 5ème siècle, la Thrace (Grèce, Turquie) s’appelle Europe.
Durant l’Antiquité, les civilisations se sont développées autour du bassin méditerranéen. Lors des invasions où les peuples germaniques furent bousculés par des peuples indo-européens et pénétrèrent dans l’Empire romain, Théodose 1er partagea son empire entre ses deux fils en 395, l’un reçoit la partie occidentale, l’autre la partie orientale incluant l’Asie Mineure avec la grande ville de Constantinople (aujourd’hui Istanbul). Cette ville remplaça Rome comme capitale de l’Empire. Au VIème siècle, sous Justinien 1er, les composantes du byzantinisme furent visibles.
A l’est s’est développé l’Empire d’Orient, de Constantinople à la grande Russie ; à l’ouest l’Empire d’Occident où les Francs ont créé un grand royaume. Leur chef Clovis se fit baptiser si bien que la France jouit de prestige auprès du Pape à Rome et est traitée comme première fille de l’église. Selon la loi coutumière des Francs saliens, les territoires francs furent partagés entre les 4 fils de Clovis. Une révolution de palais fit que le maire Pépin Le Bref devint le premier des Carolingiens à assumer le titre royal. Le plus grand des rois carolingiens fut Charlemagne, véritable empereur européen d’Occident. Les Francs devinrent les maîtres de l’Occident et les garants de la puissance papale en Italie.

Orient et Occident : une fracture qui perdure.

L’Orient et l’Occident formaient désormais deux entités politiques bien distinctes. En Orient, le gouvernement était constitué, pour la première fois, de civils dont les compétences professionnelles étaient reconnues. Les activités de ce gouvernement dépendaient essentiellement de l’empereur (autocratie). Les lois romaines furent codifiées sous forme de recueils ; les finances et la collecte des impôts furent centralisées. Suite à des querelles doctrinales et conflits religieux, l’empire byzantin devint orthodoxe et la religion de l’Empereur devint la religion officielle de l’Etat.
La fracture entre l’Orient et l’Occident remonte donc au IVème siècle de notre ère et les cultures évoluèrent différemment. En dehors de ces 2 blocs, seuls les Bulgares, peuple touranien, non slave, furent capables de s’ériger en Etat. Ils tentèrent avec les Serbes de dominer les Balkans mais sans y parvenir. Le deuxième facteur fut la conquête ottomane qui coupa les Balkans du reste de l’Europe. Cette Europe, à l’exception des Balkans et de la Scandinavie en raison des structures égalitaires qui régnaient dans le monde nordique, s’engagea dans les Croisades pour reprendre à l’islam les lieux saints. C’est avec l’aide des Croisés que les Turcs s’emparèrent de Constantinople en 1453. Pour faire face aux invasions, certains Etats (dont la Géorgie) demandèrent protection au Tsar de Russie et eurent le statut de protectorat.
Le ciment qui unissait l’Occident était l’église romaine. La chute de Constantinople marqua la fin de l’empire byzantin, ainsi qu’une nouvelle ère d’expansion pour l’empire ottoman. Les historiens considèrent parfois que cette date marque aussi la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance et c’est à cette même époque que l’Occident chrétien est désigné sous le nom d’Europe.
Le XX ème siècle et ses turbulences rappelleront ces différences entre l’Orient et l’Occident. La révolution russe ne pouvait se produire à l’identique en Occident. Le communisme russe aura tôt fait à revenir à un pouvoir autocratique et la population russe pour qui le groupe a plus d’importance que l’individu pouvait se satisfaire de mesures communautaires. Lors des accords de Yalta, le partage du monde qui se fit était voué à l’échec. Le glacis soviétique à l’ouest pour se défendre du capitalisme mettait sous tutelle des peuples de culture occidentale. Les soulèvements à Varsovie, à Prague témoignent de l’impossibilité de fondre dans un autre moule des peuples qui appartenaient à la civilisation occidentale.
La construction de l’Europe est censée écarter les affrontements et permettre de faire face à la puissance économique US.

Le traité constitutionnel européen

Ensemble, les Etats formant l’Union européenne en 2006, constituent un espace de près de 460 millions d’habitants et de 3 930 000 km2. En 2007, la Roumanie et la Bulgarie y font leur entrée. L’entrée de la Turquie fait l’objet d’un report des négociations pour non-respect du protocole d’Ankara.
Le point de départ de la construction européenne est la CECA en 1951, se poursuit par le traité de Rome avec la CEE puis le traité de Maastricht avec l’adoption d’une monnaie unique mise en place à partir de 2002. Suite au grand élargissement de 2004, l’Union souhaite se doter d’une constitution.
En 2005 suite aux rejets de la constitution par les peuples français et néerlandais, consultés par référendum, la ratification a été suspendue dans la plupart des États. 17 pays l’ont adoptée mais, après les résultats français et néerlandais, la voie référendaire fut écartée.
Le rejet populaire par la France a traumatisé les institutions européennes. Aucun autre projet ne devrait être envisagé avant que le gouvernement français en particulier ne regagne une légitimité issue des urnes (élections législatives prévues en 2007).
Jusqu’alors, tous les traités concernaient l’économie. La stratégie d’élargissement crée un grand marché unique d’idéologie libérale et son extension est vécue comme un ultralibéralisme à l’échelle mondiale avec des délocalisations, une course à la compétitivité forcenée et à une remise en cause rampante du droit et de la législation du travail. Des entreprises ferment alors que leur productivité croît mais les actionnaires estiment ne pas gagner suffisamment – fait nouveau : la Bourse commande les politiques économiques.
Le « NON » français au traité constitutionnel est d’autant plus retentissant que Robert SCHUMAN, alors qu’il était ministre des affaires étrangères, apparaît depuis mai 1950 comme un des pères fondateurs d’une Europe Unie. Il propose de rejoindre la France et l’Allemagne pour mettre en commun les productions de charbon et d’acier, ressources stratégiques à l’époque – et d’autant plus symboliques qu’ils constituaient le matériau de base à la fabrication de tout armement – Schuman fait ici de l’économie un moyen au service d’une cause. Il ajoute vouloir reverser les bénéfices de cette union aux populations nécessiteuses en Afrique.
Pendant plus de 50 ans, la stratégie d’élargissement de l’UE n’a pris en compte que cet aspect économique chevillée à l’idéologie libérale qui encourage les individualismes, l’égoïsme, la guerre économique supplante celle par les armes et elle engendre à son tour des situations inégalitaires, une société duale selon l’expression du Président Giscard d’Estaing avec des inégalités sociales criardes. L’écart Nord-Sud n’a eu de cesse de se creuser. Nous sommes loin du projet original.
La libre circulation des marchandises entre les Six consacre la vision de Monnet, conseiller et ami de Robert Schuman, d’une intégration fonctionnelle : la création de telles solidarités de fait dans le domaine économique doivent amener à des interactions entre les États européens forçant à terme une intégration politique.
Mais c’était sans compter avec l’idéologie libérale promue par les USA.

Depuis l’aide américaine lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe occidentale est restée dans l’orbite des USA. La création de deux blocs militaires OTAN/VARSOVIE alors que les Six ont échoué dans un Communauté européenne de défense (CED), suite à l’opposition des gaullistes et des communistes français (ces derniers voyaient dans cette force une rivale de l’Armée rouge) prend fin avec la chute du mur de Berlin en1989, suivie de la réunification de l’Allemagne en 1990.

Une Europe divisée peut-elle se réunifier par le seul jeu de l’économie ?

Le « NON » français au traité constitutionnel européen, TCE, agit comme un coup de tonnerre dans le concert des nations mais surtout au niveau des notables traités en traîtres. La France vient de prouver que son niveau général d’instruction lui permet de soulever les vrais problèmes. Quel est le sens profond de l’élargissement ? Jusqu’où ? Les élections de 2004 au Parlement européen avaient été un premier avertissement.
Les élections au Parlement européen, les premières concernant vingt cinq Etats, révèlent partout un immense désintérêt des peuples pour cette construction qui leur semble étrangère. A l’Ouest, on s’est peu déplacé, et lorsqu’on fit l’effort de voter ce fut le plus souvent pour désavouer les gouvernements en place. A l’Est, comble du paradoxe, on s’est massivement abstenu, ou on a envoyé des députés hostiles à l’Union européenne. Comment ne pas voir qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume d’Europe ?
L’absence de souffle, le sentiment d’une construction sans fonctionnalité, l’ennui que provoque une rhétorique du « grand dessein » qui ne peut dissimuler l’absence de vision et le libre jeu des lobbies… Telles sont les manifestations de la loi implacable du libéralisme, qui ordonne l’ensemble de la construction. Tout est décidé selon une finalité : lever les contraintes au libre jeu du marché, c’est-à-dire d’un capitalisme de plus en plus prédateur en matière de droits sociaux et d’acquis démocratiques. Comment dès lors s’étonner que, pour le plus grand nombre, le mot Europe se voit d’abord associé à des menaces : celles des délocalisations, de la destruction de la petite paysannerie, du démantèlement des acquis sociaux, d’une concurrence de plus en plus acharnée et d’inégalités croissantes ?
Autant dire que l’idéal européen, d’un vaste ensemble de peuples réconciliés malgré une histoire souvent tragique, développant de concert l’immense richesse économique, politique et culturelle qui est celle de ce continent, paraît se défaire au fur et à mesure que s’élève la puissance capitaliste européenne. La vieille Europe s’en remet aux USA pour guider sa politique, on ne peut pas dire que ses élites se soient interrogées sur les attentes et l’état moral des pays sortis de la sphère soviétique. Tout a été fait comme si le mirage d’un grand marché était la clé du bien-être assuré.
Alors que la crise est patente, aggravée par la rupture qui s’est opérée sur la question fondamentale de l’alignement ou non sur la politique américaine de guerre contre l’Irak. De grandes nations comme le Royaume-Uni, la France ont un passé qui les unit au Liban, la Syrie, l’Irak et même s’il y a silence médiatique sur la gravité de vouloir un nouvel Moyen Orient pour satisfaire les lobbies juifs et américains, les peuples sentent le rapprochement d’une guerre prête à s’étendre. L’OTAN, parapluie protecteur pourrait devenir une menace. Mieux vaut se sentir partie prenante de l’Eurasie que d’un morceau de la presqu’île Europe qui braderait tous ses efforts pour ne plus connaître les horreurs ravageuses d’une guerre et serait disposé à un soutien inconditionnel à l’égard d’un Etat qui traite l’ONU comme un pantin. Israël ignore les 65 résolutions de l’ONU votées à son encontre et, la plus grande puissance du monde lui apporte son soutien par ses vetos renouvelés et envahit l’Irak à l’encontre de l’avis du Conseil de Sécurité.
Une Constitution ! Le mot, noble, fut mis en avant pour masquer la réalité d’un super traité entre Etats sur lequel les peuples ne peuvent ni ne pourront intervenir. Mais lorsqu’on invoque le bon sens pour rappeler qu’une Constitution doit être soumise au suffrage populaire, on nous réplique qu’il ne s’agit pas de cela. Comprenne qui pourra ! Déjà toute rapiécée, ses plus farouches partisans sont donc incapables de dire ce qu’elle est.
On veut nous faire croire que la réponse aux problèmes de la construction européenne est contenue dans ce texte qui, intégrant les précédents traités, va institutionnaliser les exigences du libéralisme, les systématiser, et les rendre irréversibles, puisque l’accord unanime de toutes les parties prenantes, nécessaire pour le modifier, sera évidemment impossible. C’est bien, comme il a été dit, « inscrire le libéralisme dans le marbre ».
Démocratie, droits humains, équilibre Nord-Sud sont des valeurs qui mobilisent les populations des vieilles démocraties européennes. Qu’en est-il des Nations qui étaient sous la férule soviétique ? Beaucoup d’occidentaux ont affiché avec des pin’s leur soutien à Solidarnosk sans savoir, bien sûr, l’appui de l’opus dei. Et qu’en est-il de la Pologne d’aujourd’hui ? Droit et justice, Giertych de la Ligue des Familles Polonaises dont le programme consiste à former les jeunesses archipolonaises très patriotiques, à financer pour une distribution dans les écoles les livres de Jean-Paul II, son programme provoque des insurrections alors que le seul souci de Giertych est de faire valoir les normes éthiques que les Polonais ne partagent pas, semble-t-il. Ce sympathique personnage siège à l’extrême-droite depuis 2004 au Parlement Européen. La venue de ces extrémistes de l’Est a redonné espoir à Jean-Marie Le Pen de pouvoir constituer un groupe parlementaire et il multiplie, à cet effet, ses déplacements à l’Est. PiS, est un parti politique polonais social-conservateur, fondé le 13 juin 2001, actuellement au pouvoir et dirigé par Jaroslaw Kaczynski. Parti contre l’avortement, contre les homosexuels qui a pour ministre de l’éducation
En France, certains beaux esprits mis à la mode du moment affirment que la grande richesse de L’Europe réside dans ses langues et ses cultures, dans la diversité culturelle. On le sentirait encore davantage hors d’Europe. Alors, question : se sent-on européen quand on se promène à Istanbul ? Quant aux USA qui signent avec l’UE des accords transatlantiques sur l’économie, la politique, la sécurité, ils travaillent à la construction d’une grande Amérique qui par son succès économique fera oublier les velléités démocratiques de certains, et le succès aidant la langue unique l’emportera : l’anglais bien évidemment.

M.M.

* Michelle Meyer est professeur de lettres et d’histoire, femme de lettres, lauréate de l’Académie Française. Elle a écrit 28 livres, dont « Les premiers temps de l’imprimerie, Jean Mentelin , primo typographiae inventori » (1997) et « Je te raconterai l’Alsace » (1990).

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La construction de l’Union européenne. Les dates importantes

1950 Création du Comité Européen du Charbon et de l’Acier. CECA
25 mars 1957 Traité de Rome, signé par six pays ( France, République fédérale d’Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas) : création d’un grand marché entre les pays membres, la circulation facilitée des hommes et des marchandises. C.E.E.
1962 Mise en place de la Politique Agricole Commune.
1973 Royaume-Uni, Danemark et Irlande deviennent membres de la Communauté Economique Européenne (C.E.E).
1978 Création du Système Monétaire Européen.
1981 La Grèce rejoint la C.E.E.
1986 Adhésion du Portugal et de l’Espagne.
1986 L’acte unique prévoit la suppression des contrôles douaniers.
Février 1992 Le traité de Maastricht envisage la création de l’Union Européenne avec Banque Centrale, monnaie unique et citoyenneté européenne : la C.E.E. devient l’U.E.

2002 Mise en circulation de l’euro. 1er trimestre 2002 : suppression du cours légal des monnaies nationales dans les pays ayant adopté l’euro.

Les 25 pays membres de l’U.E. en 2006

Allemagne (adhésion 1957 – 82,44 millions hab.) Autriche (1995 – 8,27 millions hab.) Belgique (1957, 10,51 millions hab.) Chypre (2004 – 0,77 million hab.) Danemark (1973 – 5,43 millions hab.) Espagne (1986 – 43,76millions hab.) Estonie (2004 – 1,34 million hab.) Finlande (1995- 5,26 millions hab.) France (1957- 62,89 millions hab.) Grèce (1981 – 11,13 millions hab.) Hongrie (2004 – 10,07 millions hab.) Irlande (1973 – 4,21 millions hab.) Italie (1957 – 58,75 millions hab.) Lettonie (2004 – 2,29 millions hab.) Lituanie (2004 – 3,40 millions hab.) Luxembourg (1957 – 0,46 million hab.) Malte (2004 – 0,40 million hab.) Pays-Bas (1957 – 16,33 millions hab.) Pologne (2004 – 38,16 millions hab.) Portugal (1986 – 10,57 millions hab.) République tchèque (2004 – 10,25 millions hab.) Royaume-Uni (1973 – 60,39 millions hab.) Slovaquie (2004 – 5,39 millions hab.) Slovénie (2004 – 2 millions hab.) Suède (1995 – 9,05 millions hab.)

Assumer, reconstruire

Le Dr Jean-Maurice Salen nous communique un point de vue à propos des flambées de novembre. Il nous autorise à le publier.

Comment en ces journées de novembre, sans connaître encore l’issue immédiate des flambées de violence, ne pas évoquer ces évènements qui font douter la France d’elle-même ? Comment ne pas être interpellé,  » simple  » citoyen, éducateur, enseignant, parent, élu, responsable associatif, détenteur de l’autorité publique…quelque soit notre place dans ce pays ? Nous avons, société française, une fois de plus, rendez-vous avec l’Histoire…c’est à dire notre histoire, celle qui se construit tous les jours.
Une fois pour toutes ( ? ) sachons voir que la présence des enfants de l’immigration n’est pas le fait du hasard, ni la résultante d’une seule immigration  » économique « . Ce sont les  » liens  » que nous avons noués, avec l’Algérie – que nous avions déclarée  » française  » jusqu’à la dramatique séparation de 1962, avec les anciennes colonies, avec les descendants des victimes de l’esclavage qui constituent, souvent dans le non-dit, la toile de fond, l’environnement psychologique des dizaines de milliers de jeunes de nos cités.
L’immigrant polonais, italien, kabyle des années d’avant guerre, avait un travail, dur le plus souvent, qui nourrissait une famille, installée en France ou demeurée au  » pays « . Les  » jeunes des cités « , d’une troisième génération, sont  » d’ici  » – dans un décor des années 1960 – orphelins de la culture de  » là-bas  » avec le sentiment, pour beaucoup, de rester en marge du travail, de l’intégration, de la re-connaissance des  » Français  »  » d’ici « …
A cette fracture sociale – riches et pauvres – s’ajoute une fracture culturelle, civilisationnelle, ethnique, voire religieuse que la société française n’a pas vu venir, en dehors de cercles directement impliqués. Les enfants perdus qui se livrent à des actes inadmissibles ne peuvent faire la loi aux dépens d’abord de leurs familles, de leurs voisins, de leurs écoles. Rétablir l’ordre, mais sans injurier l’avenir, en commençant par renouer les mille fils du vivre ensemble de cités qui ne sont pas à stigmatiser mais d’abord à respecter.
A une situation qui rappelle celle des Noirs Américains, dans une ambiance mondiale où les pays du Sud demandent des comptes à l’Occident, nous avons le devoir, quelque soit notre place, de participer à cette construction d’une nouvelle société qui ne serait pas saccagée par le chômage, le mur invisible de l’exclusion élevé plus ou moins consciemment face à une société parallèle, à ces  » nouveaux jeunes  » devenus fantassins d’une fausse cause qui ne mène nulle part.
Assumer ce défi aura un coût, à prélever sur notre richesse nationale, un impact dans nos mentalités, dans un nouvel imaginaire collectif national à reconstruire. Relevons ce défi : la paix civile, la survie des valeurs dont nous sommes fiers en est l’enjeu.
Docteur Jean-Maurice Salen
11 novembre 2005

Quelle volonté citoyenne pour  » plus  » d’Europe ?

Un demi-siècle de construction européenne n’empêche pas qu’aujourd’hui des problèmes économiques majeurs fassent surface. La situation de l’emploi n’est pas brillante. Les perspectives d’avenir qu’ouvre la mondialisation pour les économies nationales européennes ne réjouissent pas.

Il est sain que le peuple bouge et que ceux qui veulent défendre les acquis sociaux réagissent. Mais à qui s’adressent-ils et contre quoi réagissent-ils ? Il est tentant d’incriminer l’Europe et de s’opposer à son évolution, puisque tous les efforts consentis jusque-là n’ont pas empêché les problèmes d’aujourd’hui.
On peut cependant se demander si l’angoisse qui s’exprime ainsi, ici contre la Constitution européenne à l’occasion du référendum, là contre un chancelier voisin à l’occasion d’élections régionales, n’empêche pas de cerner les vraies questions liées à l’Europe ?
On réagit contre l’Europe des technocrates ? C’est la seule qui existe !
Mais y a-t-il eu, jusque là, une volonté politique d’aller au-delà d’une Europe construite sur un mode de fonctionnement économique ? N’est-ce pas parce que l’Europe ne dispose pas d’un véritable pouvoir politique qu’elle n’a pas qu’un poids relatif sur l’échiquier international et n’a pas les moyens d’influer pour orienter différemment l’économie mondiale ?
Il faut bien convenir que les politiques nationales à elles seules n’ont qu’un poids relatif, qu’elles sont évidemment bien moins efficaces que ne pourrait l’être l’Europe.

La véritable question au sujet de l’Europe est alors : les gouvernements et les citoyens des pays de l’Union européenne veulent-ils donner à l’Europe un réel pouvoir politique ?
L’Europe qui sortira de la Constitution, si elle se trouve agréée, ne sera qu’une avancée relative sur la voie d’une entité plus efficace sur le plan mondial. Quelle volonté politique – citoyenne ! – permettra plus d’Europe ? Et dans quelle perspective s’inscrit cette évolution ? Voit-on, au bout de la lorgnette, le seul intérêt national – dans le sens d’une France plus forte ? Ou tient-on à inscrire l’évolution dans une perspective mondiale en nous demandant : Quelles règles de fonctionnement économique permettront à l’humanité de s’en sortir et voulons-nous les défendre ? 
Curieusement, dans le débat d’aujourd’hui apparaît très peu le souci d’une société plus fraternelle, plus juste. Nos valeurs humanistes sont-elles à ce point mises à mal par le fonctionnement d’un monde qui mise tout sur le bonheur individuel, valeur motrice de la société de consommation ?

Il est temps que les politiques disent clairement quel type d’Europe ils veulent promouvoir, en disant quel monde ils proposent de construire. Mais aussi, et d’abord, les citoyens ! Et qu’ils disent aux politiques leurs choix. Qu’ils en débattent. Beaucoup et encore plus. La démocratie, en effet, a besoin de citoyens majeurs…

Ernest Winstein

 

Partager nos questionnements

Il me semble que ce soit une chance que de pouvoir partager ainsi nos questionnements, nos opinions, nos attentes et, pour ma part, là est la seule pertinence de ce référendum.

En relisant mes notes prises au cours du débat contradictoire sur le projet de Constitution européenne, je me rappelle que la salle de foyer était bondée (plus d’une soixantaine de personnes), qu’il était notable de faire le constat de la parité hommes – femmes ainsi que la représentative au niveau des générations d’ages.
Déjà acquis à une tendance cherchant soutiens et confirmations ou indécis en recherche de réponses, sympathisants, habitués ou curieux d’un soir, l’esprit respectueux de l’écoute de l’autre et la « bonne foi » régnait.
Force nous est de reconnaître que les donnes semblaient mélangées puisque l’on ne parle plus, dans le cadre de ce vote à venir, vraiment de droite ou de gauche… En effet, vu d’un œil européen, ces clivages s’avèrent remplis de nuances dues aux différences identitaires, et ainsi nous oblige à nous redéfinir sur ce qui serait important, fondamental pour nous.

Continuant de lire mes notes, je me rends compte que je n’ai rien consigné mais ai relevé systématiquement des contradictions que je transformais en questionnements.
Par exemple : à l’affirmation de Monsieur Henry, qui prône le  » non « , des chiffres de 20 millions de chômeurs en Europe et 70 millions de personnes vivant dans la précarité, je notais ma question: Quel en est la répartition par pays… Est-ce que le fait qu’ils soient au sein de l’Europe ne leur donne pas une chance…Que leur statut change… Est-ce que le non au TCE isolerait, non seulement la France, mais aussi ceux-là …du moins les écarteraient. En d’autres termes : à vouloir tout de suite réglementer des idéaux (comme ces deux mots sonnent mal côte à côte..) du dit traité pour nous protéger de l’ultralibéralisme et en exiger une orientation plus sociale et pour cela dire « non » revient aussi à rejeter une situation réelle, celle que nous vivons tous les jours – c’est-à-dire qui ne relève pas d’une utopie, une situation faite de compromis : l’intégration parmi nous de ceux qui sont en situation d’inconfort. Car c’est bien d’intégration qu’il s’agit, avec un souci réel de – art I-1 des objectifs du TCE – : « …promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples  » et, art I-2 : « l’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures … »
Ainsi : fini le polonais, le tchèque, l’espagnol, l’italien…immigré, sorte de sous citoyen qui mangerait le pain des français… (Fernand Reynaud), libre à lui de venir s’installer en France mais aussi de vivre confortablement chez lui !
Par conséquent la question se retourne en elle-même : N’y a t il quelque chose d’annihilant dans l’acte de voter non ?…
Annihilant le concept même de la validité des principes fondamentaux des droits de l’homme repris en ce TEC.
Annihilant l’abolition de la peine de mort – art II-62.2 :  » Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.  »
Si on parle de préserver des acquis et tendre en nos valeurs vers le haut, alors ne faut-il pas à tout prix et d’abord garder ses valeurs ? Et ne se laisser aucune place au doute qui pourrait bien faire basculer dans le néant et l’oubli des fondements aussi essentiels que ceux-là ?

A la question « que se passe-t-il si le non l’emporte ?- sous entendant la révision du TCE- la réponse était des plus aléatoire : chacun a entendu parler d’un plan B- salvateur… (il me parait évident que si le plan B était meilleur que le plan A, il nous aurait été proposé à la place du plan A…)
Nous entendrons-nous sur le contenu du plan B ?
Les partisans du non seraient-ils assez unis dans l’adversité pour construire sur le non ? (art I-8  » …la devise de l’Union est : Unie dans la diversité  » me semble plus positif…)
Bien que le soucis légitime de chacun de porter haut des valeurs et acquis sociaux soit louable, le non sanctionnerait, certes, la froideur toute technocrate et la texture si  » juridistique  » de ce texte mais il y a fort à craindre que  » le bébé soit jeté avec l’eau du bain « .

A la question  » que se passe-t-il si le oui l’emporte ?- sous entendant que les remous autour d’un tel texte ne pourraient pas laisser les politiques et rédacteurs indifférents…, le Sénateur Riess répondait :  » bien sur que ce n’est pas inscrit dans le marbre ! »
Et c’est bien là une évidence !
Car même les statuts et effigies de bronze ou de marbre ne restent pas longtemps sur leurs socles quand ce que nous avons de fondamental en nous est menacé.

Nous allons donc voter pour ratifier un texte qui se propose de construire des bases d’accords entre états souverains. Sans qu’eut lieu une guerre, sans qu’il eut lieu de renverser un régime totalitaire…cette responsabilité qui nous est donnée, en pleine conscience de notre liberté acquise, sera le reflet de notre engagement en notre largesse d’esprit.

Nathalie Leroy Mandart.

Travailler sous le signe de la liberté

Le « droit au travail » semble bien constituer une revendication majeure des citoyens de nos pays démocratiques dits occidentaux. Le projet de Constitution pour l’Europe mentionne un « droit de travailler ». Le mouvement ouvrier du 19è siècle – la Fête du Travail du 1er mai s’en souvient – revendiquait quant à lui la nécessaire limitation du temps journalier de travail, compte tenu des conditions difficiles de l’activité industrielle. Le « sens » que l’on accorde au travail a donc évolué à travers les temps.
La société moderne contemporaine, dans son organisation politico-économique, se doit-elle de fournir du travail à tout le monde ? N’est-ce pas là une préoccupation majeure de tout gouvernement qui dit lutter contre le chômage ? N’était-ce pas aussi l’objectif vers lequel tendait la gauche lorsqu’elle s’efforçait de mettre en place les 35 heures, car y a-t-il une autre solution de donner du travail à tout le monde qu’en le répartissant ?
Aujourd’hui, l’érection du travail en symbole de l’insertion sociale du citoyen risque d’induire une sorte d’idolâtrie du travail en en faisant une valeur absolue. Celle qui ouvre toutes les voies, celle du statut social, des loisirs, du bonheur matériel. Pourtant, le travail en lui-même ne prend-t-il pas, de plus en plus, tournure de nouvelle forme d’esclavagisme ? Le rendement maximum, non seulement pour les travaux de production, mais aussi les services, caractérise l’organisation du travail d’aujourd’hui. Pour compenser la tension résultant des conditions de travail, les loisirs offrent à la consommation des services faciles à mettre en œuvre plutôt que d’appeler à la créativité ou à la concentration intellectuelle.
La question de la qualité du travail et de la qualité des loisirs se pose donc, mais se trouve immédiatement coiffée par celle du droit au travail. Pourtant la question de l’organisation du travail est intimement liée à celle de la conception du travail. L’exemple, absurde en lui-même, mais d’une incroyable désinvolture, de la proposition faite à des employés français de se délocaliser et d’accepter un salaire de misère montre bien que le sens donné au travail n’est pas le même suivant le point de vue où l’on se place. Les délocalisations si elles permettent peut-être provisoirement de sauver des entreprises, garantissent des retombées au plus petit nombre, au grand dam du plus grand nombre – ceux que le travail faisait vivre au quotidien ; ceux pour qui le travail bien fait était source de satisfaction, ceux qui contribuaient ainsi au tissus social dans un cadre local ou régional auquel l’on était fier d’appartenir. Enfin, comment passer sous silence le fait que les délocalisations font travailler des humains pour un rendement maximum, mais un salaire moindre. Dans l’abstraction, il s’agit d’une progression de l’esclavage humain, pendant que d’autres ici, se demandent à quoi ils peuvent bien « servir », au sens propre du terme et, finalement, quel est le sens de leur vie qui sera, à sa manière, faite de dépendance financière, si ce n’est de précarité ou de misère.
Chercherait-on une orientation éthique à notre problématique dans les écrits bibliques, nous constaterions que ceux-ci ne présentent jamais le travail comme une fin en soi : le travail est plutôt une astreinte – le « paradis » est l’endroit où l’on ne travaille pas! Mais lorsque Jésus rappelle que le jour de repos est fait pour l’homme, il souligne qu’il en va de la liberté et de la dignité humaines. Puisse notre conception du travail s’orienter à ces notions et aider à considérer le travail sous ses aspects positifs, constitutifs de la société, en le concevant comme un lieu de satisfaction et non d’esclavage.
Certes, concevoir le travail autrement signifie aussi le réorganiser, y compris en matière d’écart des revenus, et s’en donner les moyens. Si tel est l’objectif du plus grand nombre, c’est aussi le plus grand nombre qui doit s’en sentir responsable et y travailler – principe de base du fonctionnement d’une démocratie. Il va de soi que cette volonté s’exprime et se concrétise à tous les niveaux – national, européen et international.
Ernest Winstein (mai 2005)