Une foi à hauteur d’humain
Par Roland Staub
La question qui m’accompagne dans mon métier de pasteur et que j’adresse aux affirmations dogmatiques et au langage religieux est celle-ci : « Qu’est-ce que cela signifie pour moi, être humain ? Que peuvent faire ma raison et mon coeur avec ça? Que peuvent faire mes auditeurs avec ça ? Est-ce à la hauteur des humains que nous sommes ? » C’est pour moi le critère décisif.
Il y va de la crédibilité de la religion, de la crédibilité du Dieu dont je parle. C’est ce qui m’a amené à dire : je crois autrement que ce que j’ai parfois (souvent même) entendu ou lu.
Je vais évoquer quelques éléments de ma foi, de mon expérience de Dieu, de ce qui me porte parfois plus loin, m’encourage à vivre et à essayer de faire vivre. Important pour moi est que je ne suis pas seul sur ce chemin là. J’ai rencontré des compagnons qui posent des questions semblables aux miennes, qui partagent certaines révoltes, qui ont une image de Dieu parfois proche de la mienne, dont la réflexion m’interpelle. Compagnons d’hier et d’aujourd’hui, protestants, catholiques, agnostiques ou pour qui ces dénominations ne font pas sens, libres croyants, marginaux de la foi, questionneurs de la foi. Parmi eux aussi certains de mes auditeurs du dimanche, de ceux que je rencontre chez eux, dans la rue, à l’hôpital, en prison. Leur vie, telle qu’elle est, interroge la foi traditionnelle.
Je parle de quête, de chemin, d’image de Dieu. Comment parler autrement de ce qui est au-delà de ma finitude humaine?
Utile dans ma quête est la Bible. Utile n’est pas un terme réducteur. La Bible me sert et je ne pourrais me passer de son service, non parce que elle serait un a priori intouchable mais parce qu’elle est le livre des témoins. Cependant la Bible a ses limites et paradoxalement c’est ce qui lui donne, pour moi, toute sa valeur. Elle n’est pas LA PAROLE de Dieu. Elle est la parole d’hommes et de femmes qui disent avec leurs mots, leurs personnalités, leurs histoires, leurs conceptions du monde, leur foi. Ces limites donnent à l’auditeur, au lecteur, à sa sensibilité, son intelligence, toute sa place. Je sais bien qu’il y a aussi le témoignage intérieur du Saint – Esprit. Souvent on comprend cela comme s’il y avait une autre voix qui nous parlait, qui mettait les choses au point, qui clarifiait les obscurités. Comme s’il y avait à coté de Dieu et de Jésus une troisième personne autonome à qui l’on pourrait faire appel pour qu’elle intervienne, et qui interviendrait, en d’autres domaines, où elle veut et quand elle veut. (Ce qui permet de dire et de faire bien des choses et parfois n’importe quoi).
L’Esprit c’est ce souffle qui nous remet en mouvement, qui nous sort de nos temps de doute, de découragement, qui nous ouvre des horizons nouveaux, qui nous fait devenir créateur, recréateur de nos vies. Personnellement je préfère parler de l’esprit de Jésus ou de l’esprit de vie, cet esprit dans lequel Jésus agissait, vivait et dont il imprégnait les siens. Lire la Bible avec l’éclairage du Saint-Esprit c’est laisser cet esprit imprégner notre esprit humain. Si la parole que nous entendons et transmettons va dans la direction d’une plus grande confiance, ouvre à la responsabilité, si elle aide à vivre et pousse à faire vivre, alors je crois qu’il y a quelque chance que le souffle de Dieu n’y soit point absent.
Les limites de la Bible donne à l’homme toute sa place mais aussi à Dieu Elles me rappellent que la parole de Dieu est toujours au-delà de ce que je peux entendre ou dire. Elles m’évitent de faire de la Bible elle-même un dieu, une idole à laquelle je sacrifierais ma raison. Elles me rendent attentif à la difficulté qu’il y a à parler au nom de Dieu. Personne ne peut parler au nom d’un autre sans courir le risque de trahir sa parole, en tout cas pas, sans préciser les limites de son discours. Personne ne peut prétendre avoir le dernier mot au sujet de Dieu.
Il y a la Bible dans ma quête. Mais il y a aussi autre chose et parfois de façon plus immédiate.
Ce sont des personnes qui, certains jours, m’ont rendu le ciel plus proche. Ce qui caractérisait ces personnes c’était, avant tout, leur profonde humanité. Ce n’était pas des êtres parfaits. En cela déjà elles me rejoignaient. Leurs attitudes, leurs paroles, leurs écrits disaient l’attention à l’autre, le non jugement, surtout le non jugement, une bonté qui n’était pas doucereuse, qui les amenait parfois à dire des parole tranchantes pour aider à basculer du coté de la vie, une bonté qui précédait et qui était ultime, qui n’abandonnait pas même quand elle était au loin. Et puis, dans ma quête, il y a les ciels étoilés de certain soir d’été. Ils semblent me dire une présence qui m’enveloppe, me protège, petit homme que je suis dans l’immensité de l’univers. Il y a la douceur de certaines journées d’automne quand rien ne vient troubler la quiétude du coeur. Il y a des visages d’enfants, de femmes, profonds et lumineux. Il y a des livres, des musiques. Dans une des églises de ma paroisse il y a un tableau représentant Marie et l’enfant Jésus. Le regard de la femme est d’une douceur infinie. Il y a la lente maturation d’évènements. Il y a des fulgurances. Il y a bien des choses qui me font ressentir cette présence que j’appelle Dieu. Et puis, dans le même temps, il y a toutes les questions, les obscurités, les silences, les vides, souvent nés du tragique, du non-sens de tant de vies.
Il y a la présence de Dieu. Il y a son absence.
N’y a-t-il qu’un seul chemin?
C’est ce que semblent dire un certain nombre de passages de la Bible. (« Je suis le chemin, la vérité, la vie. Nul ne vient au Père que par moi ». « Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous sommes sauvés », par exemple).
A ces textes on pourrait en opposer d’autres qui disent que ce sont les actes qui sauvent (Mt. 25, Mt. 7, Ps.1, …). Mais les passages qui donnent l’exclusivité au Christ existent et la liberté de les comprendre dans ce sens aussi. Cependant, j’ai la conviction qu’on peut, qu’il faut même, les comprendre autrement. D’abord, par rapport au statut de la Bible qui n’est pas un livre de vérités objectives. C’est, pour l’essentiel, un livre de foi, qui exprime ce que des personnes ressentent au profond d’elles-mêmes. Ce qui pour elles est vérité. D’autre part, il est très difficile, voir impossible de savoir ce que Jésus a dit exactement. Intéressant est le livre de Frédéric Amsler, professeur de
Nouveau Testament à Genève, « L’évangile inconnu ». Il y présente le travail d’exégètes nord-américains et allemands qui ont essayé de retrouver la source « Q » (Quelle), cette collection de paroles de Jésus qui selon la plupart des exégètes, est une des bases des évangiles de Matthieu et de Luc. Ils l’ont fait de manière scientifique, avec les outils de la philologie en analysant, recoupant, comparant les textes. Frappant dans ce qu’ils ont retrouvé est qu’il n’y a pas d’allusions à la mort et à la résurrection de Jésus qui opéreraient le rachat des péchés des hommes ce qui allait devenir l’axe autour duquel tournera toute la théologie dominante. Ils ont retrouvé un Jésus humain, sans prétention à être le messie universel, qui ne demande pas que les hommes croient en lui, mais qu’ils mettent ses paroles en pratique. Un Jésus croyant en la possibilité d’un monde autre, un royaume de paix, de fraternité, de justice. Personnellement, je me sens proche de ce Jésus là qui dit l’amour inconditionnel de Dieu pour tous les humains, tous étant ses enfants, quelque soient leur passé, leur présent. C’est en ce sens que, pour moi, Jésus est chemin, vérité, vie. Cette vérité, rien n’empêche une personne ayant une autre religion, une autre sagesse, croyante ou non, de la vivre. J’aime bien ce qu’a dit Théodore Monod, le naturaliste protestant. Toutes les religions, dans ce qu’elles ont de meilleur, cherchent à atteindre le sommet. Chacune le fait par un autre sentier. Toutes finissent par se rejoindre. Pour Monod, le Jésus des Béatitudes, le Jésus qui engage sa vie pour le royaume de Dieu est le chemin. Mais il se savait un marcheur parmi d’autres. Un protestant parmi d’autres protestants. Un chrétien parmi d’autres chrétiens. Un croyant parmi des croyants de tous horizons.
Un humain cherchant à être toujours plus humain. « Et nous ne sommes qu’au début de l’hominisation » disait-il.
La mort et la résurrection de Jésus
J’ai souvent été frappé par le fait que beaucoup de personnes avaient une image très culpabilisante de l’église, de Dieu. Mais il suffit d’écouter les liturgies de nos cultes et pas seulement les anciennes. Ce sont des textes qui mettent souvent l’homme plus bas que terre, qui l’accusent de tous les maux, de lâcheté, de paresse, de vanité, de médiocrité, d’indignité, de toutes les trahisons ( ces mots se trouvent dans les textes). Quand vous avez entendu cela sous cette forme brute ou sous des formes plus diffuses mais qui n’en expriment pas moins un profond pessimisme envers l’homme, quand vous avez entendu que l’homme n’est rien mais que heureusement Dieu est là et que sa grâce nous sauve, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne nouvelle que vous entendez. « La grâce, ainsi prêchée, devient culpabilisante, traumatisante et aboutit à l’effet inverse de celui auquel elle devrait conduire », écrit
Laurent Gagnebin. » Le péché est-ce si important que cela ? » s’interrogeait Jacques Pohier.
Je crois à la force de la grâce de Dieu. Elle est force de vie pour moi. Je la retrouve dans l’attitude de Jésus, même dans la dureté, le tranchant de certaines de ses paroles. Mais elle n’accable pas l’homme. Jésus ne nie pas l ‘importance du péché. Mais il voit d’abord dans ceux qu’il rencontre des êtres désemparés, angoissés, que la vie, les évènements ont abaissé, traumatisé, des êtres souffrants. Il les prend par la main pour les emmener hors du cercle meurtrier, les délivrer des poids qui les écrasent. Le Dieu de Jésus ne désespère pas de l’homme Il croit en ses possibilités. Alors d’où vient cette vision pessimiste qui entraîne ce sentiment de culpabilité ? Yves Edel, un psychiatre, avait un jour remarqué qu’il retrouvait souvent ce sentiment de culpabilité chez des personnes de confession protestante. Je me demande si la place de la CROIX, la mort de Jésus pour le salut des hommes (le Vendredi-Saint, sommet de l’année) n’en est pas une des causes. Je disais tout à l’heure que dans la source « Q » il n’était pas question de la mort et de la résurrection de Jésus en tant qu’évènements de salut. Ce qui veut dire, pour le moins, que ces » évènements » n’ont pas eu pour toutes les composantes du christianisme primitif la place qu’ils ont occupé par la suite dans la théologie dominante. Personnellement je me suis heurté, pendant longtemps, à cette idée que Dieu, pour sauver les hommes, pour pardonner leurs fautes, a dû envoyer son fils à la mort. J’éprouvais beaucoup de difficultés à prêcher le Vendredi-Saint. J’étais mal à l’aise avec les textes liturgiques, les cantiques proposés pour ce jour là. Il y avait pour moi une profonde contradiction entre le Dieu que Jésus me faisait découvrir dans les évangiles à travers sa façon d’être, la plupart de ses paroles et ce Dieu cruel qui demande le sacrifice de son fils. Important pour moi a été de découvrir qu’il était possible de comprendre la mort de Jésus autrement. Notamment grâce à André Gounelle, dont des articles et son livre, Le dynamisme créateur de Dieu, m’ont fait découvrir la théologie du Process. Pour John Coob, un des théologiens du Process, si Jésus a accepté la mort c’était pour ne pas trahir son combat contre l’inhumain. Les choses auraient pu tourner autrement. Il n’y avait pas de plan de Dieu. Jésus est mort comme sont mortes des milliers de personnes. Il est mort pour ses idées sur l’homme et sur Dieu. Dans ce sens il est mort pour les hommes comme il a vécu pour les hommes. Sa mort a été un échec pour Dieu. Mais un échec qui n’a pas été la fin. Dieu est celui qui ne se résigne pas, n’abandonne pas.
Dieu est cette force créatrice, recréatrice de vie. Cette force qui agit en Jésus et peut agir en chacun de nous. Cette manière de comprendre la mort de Jésus entraîne, entre autres conséquences, que Dieu ne peut pas tout, qu’il n’est pas tout- puissant. Cette idée m’est essentielle par rapport à la réalité de notre monde. Il y va de la crédibilité de la foi. Les affirmations de la foi ne sont crédibles que si elles s’enracinent dans nos expériences humaines. Un Dieu qui serait tout-puissant mais qui n’interviendrait pas dans les affaires de ce monde parce qu’il a créé l’homme libre comme le disent certains ou parce que notre prière ne serait pas assez croyante ou simplement parce qu’il est Dieu, donc en dehors de tout raisonnement humain, serait pour moi aux antipodes du Dieu de Jésus. Sa puissance est une puissance de persuasion qui amène l’homme à devenir le plus possible auteur de sa vie, qui remet debout des hommes que les circonstances de la vie ont abaissés, qui ouvre des horizons à ceux qui sont barrés par le quotidien. C’est le Dieu de la douceur divine dont parle Maurice Bellet.
« Cette douceur ferme, paternelle et maternante. Elle veut la vie, le sain et le sauf. Elle redresse le tordu, rafraîchit le brûlant, réchauffe le glacé, dénoue le noeud d’angoisse, éveille ce qui est mort ».
Pour moi Pâques ce n’est pas tant un évènement qui se serait passé un lendemain de Sabbat à Jérusalem. Ce n’est pas très important ce qui s’y est passé ou même qu’il ne s’y soit rien passé. Pâques c’est à chaque fois qu’au lieu de rester à regarder en arrière et de courir le risque de rester figé comme la femme de Lot, une présence, une force m’entraîne vers demain. Cette force je la puise dans la vie de Jésus, dans l’esprit qui l’a animé. La résurrection est centrale pour moi mais autrement que dans la compréhension habituelle. Jésus était un ressuscité avant sa mort, quelqu’un qui vivait debout, quelqu’un que le vent de l’adversité pouvait faire plier, douter, entrer dans la nuit mais pas définitivement anéantir.
Ma prière
Jésus n’est pas Dieu. Il est homme, habité d’une confiance, lié comme peut- être aucun autre homme à celui qu’il appelait Père et par là libéré de toute autre puissance. Ce qui fait que je peux lui donner le titre de christ, celui qui me révèle de manière très forte quelque chose de celui que j’appelle Dieu. Mais cela n’empêche pas qu’il y ait du christique en d’autres personnes, connues ou anonymes, en chacun de nous. Ceci a comme conséquence que le destinataire de mes prières n’est jamais Jésus. Cependant, je peux , sans problèmes, me joindre à une personne ou un groupe qui s’adresserait au Christ; Ce qui sera important pour moi à ce moment là c’est ce que mon coeur ressentira, partagera, de la joie, de l’espérance, de la peur, de la souffrance de ces personnes. La parole, celle qui parle en vérité est toujours au-delà des mots. Ma prière n’est pas un devoir. Je crois qu’on a fait beaucoup de torts à la prière avec des injonctions du genre- il faut prier. Pas de foi sans prière. La prière ne peut-être que liberté, de parler ou de se taire. Je peux encourager à la prière, encourager à se dire devant Dieu, mais avec toute la retenue, tout le discernement nécessaire pour ne pas m’immiscer dans l’intime de l’autre. J’invite rarement une assemblée à dire ensemble une confession de foi. Quand je le fais j’indique toujours clairement que chacun est totalement libre de se taire s’il ne se retrouve pas dans ces paroles.
La prière d’intercession. Prier pour quelqu’un, le porter dans la prière, crier à Dieu pour un autre dans une profonde solidarité, je le fais sans réserves. Mais la prière d’intercession qui demanderait à Dieu ceci ou cela (une guérison, par exemple, – oh ! je comprends cette prière, ce cri, cela a déjà été le mien) cela reviendrait à faire de Dieu une sorte de magicien qui agirait selon son bon ou son mauvais vouloir. Je ne crois pas aux miracles si on leur attribue ce sens là. Les seuls miracles c’est ceux que nous faisons, animés par la confiance, la force de vie qui était en Jésus. Il croyait en l’humain, en ses capacités. Cette foi là peut être contagieuse.
Voilà quelques réflexions sur ma foi d’aujourd’hui qui n’est plus celle de hier et sans doute pas tout à fait celle de demain. La foi naît, change, meurt parfois, de la rencontre, de la confrontation à l’épreuve de la vie.
L’essentiel (Maurice Bellet)
» C’est ce qui s’entend du fond de l’abîme de tristesse. C’est un je ne sais quoi, comme une parole d’enfant, un air chanté à bouche fermée au bord de la mer, la très douce et intime tendresse de la chambre close, l’ardeur au combat, quand le combat est par delà la guerre, contre la faim, l’injustice, la détresse. C’est quand nous sommes proche de tout homme, du plus pauvre, du plus délaissé. C’est quand nous ne jugeons personne ».
Staub Roland, 1er février 2005 à Strasbourg-Robertsau