La Bible : Paroles d’hommes, parole de Dieu

8 décembre 2018 Non

 

par Ernest WINSTEIN
Théologien

 

La Bible n’est pas tombée du ciel. Tout le monde, ou presque, a fini par l’admettre. Elle est donc parole humaine – et ne peut être entendue qu’en tant que telle. Comment peut-elle alors être considérée comme parole de Dieu ? La pensée divine s’exprime-t-elle dans cette parole ? Y aurait-il une parole de Dieu en soi?

En affirmant que la Bible est la seule source de la foi, le réformateur Martin Luther attribue à la Bible une importance particulière, unique. Pourtant, cette Bible, considérée comme « Parole de Dieu », est toute entière parole humaine – puisque tous les ouvrages composant « l’Ecriture » sont écrits de la main des humains!
Imaginons que Dieu soit « là », mais que personne n’en parle. Il n’y aurait pas de Bible, pas d' »Ecriture ». A la limite, Dieu existerait-il…?
On ne peut donc parler de Parole de Dieu qu’en supposant une relation personnelle à Dieu du témoin qui en fait état – que le témoignage soit oral ou écrit.
La question de la Parole de Dieu pose la question de notre relation à Dieu et de notre relation aux autres, auxquels nous parlons de cette relation à Dieu.
Elle pose donc la question de Dieu, tout court. De notre représentation de Dieu. En somme de notre foi.

Nous rappelons quelques éléments quant au contenu de la Bible et de son élaboration, pour aborder la question de savoir comment cette Bible peut être considérée comme parole de Dieu.

 

I. Paroles d’hommes

La Bible est-elle une vérité universelle ? Ou est-elle un ensemble de paroles circonstanciées, c’est-à-dire formulées dans des circonstances concrètes ?

Les protestants ont souvent considéré la Bible dans le sens d’une vérité universellement valable au point d’en faire une sorte de Thora au contenu définitif, un enseignement universel, – et normatif! – valable pour tous les temps.
Dans une telle perspective, la Bible est non seulement un livre saint, c’est-à-dire un livre à part (au sens propre su mot saint), différent de tous les autres, hors catégories, mais un livre sacré, représentant quasiment Dieu. Or, si l’objet se trouve ainsi sacralisé, les protestants ne sont-ils pas devenus des idolâtres de la Bible? N’exagérons rien. Mais le danger existe !

On a bien prétendu que le christianisme était une des religions du livre. Il est vrai que les protestants attachent à la connaissance de la Bible une importance particulière. Ils ont – avaient ? – le souci de bien « connaître » la Bible et de la faire connaître. La tenue d’une « année de la Bible » veut fournir l’occasion de mieux la découvrir. Des expositions sont proposées par les Eglises. Cependant ne convient-il pas de donner aussi des clés pour mieux approcher et mieux connaître la Bible? Une lecture utile ne peut pas faire l’économie d’une réflexion un peu plus approfondie et de la mise en œuvre de quelques outils d’approche que nous livrent les travaux des spécialistes.

1. Une collection de livres

Nous constatons d’abord que la Bible est un livre, plus précisément une collection de livres, une belle petite bibliothèque puisqu’on compte 34 livres pour l’Ancien Testament, auxquels on ajoute une dizaine de livres dit « deutérocanoniques » ou « apocryphes », figurant dans la collection grecque de la Septante, et 27 dans le Nouveau Testament.
Les plus anciens ouvrages pourraient être les Chroniques ou des passages de chroniques écrites par le scribe du roi relatant les faits, l’histoire d’un règne.
arrête la liste de ces livres :
– par les Juifs de l’Ecole de Jamnia à la fin du 1er siècle, pour le canon hébreu de l’Ancien Testament,
– vers la fin du 2è siècle pour le canon du Nouveau Testament – la liste la plus ancienne est évoquée dans un fragment de la seconde moitié du deuxième siècle découvert par Muratori dans un manuscrit du 8è siècle et publié par lui en 1740.
Une telle clôture du « canon » – mot qui signifie « règle » – montre que, pendant un certain temps, ces livres n’étaient pas regroupés à la manière d’aujourd’hui. Mais il existait des ensembles plus circonscrits :

Le « Pentateuque », comprenant les cinq premiers livres de la Bible, constituait du temps de Jésus le groupe d’ouvrages ayant autorité. Ces livres se présentaient alors sous forme de rouleaux de parchemin. Le Pentateuque était devenu la Thora, c’est-à-dire l’enseignement de Dieu pour les hommes. Au centre de cet enseignement figurent ce qu’on appellera les commandements – dont la tradition a fait un catalogue appelé « décalogue ». Notons que ces « préceptes » destinés à faciliter la vie en commun, en tribu, en peuple, furent très vite considérés comme « norme », en tout cas comme étant le moyen du salut. Ainsi, la question du jeune homme riche en Marc 10,17ss (Luc 18,18ss et Matthieu 19,16ss) : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » appelle la réponse de Jésus : « Tu connais les commandements… », avant que celui-ci ne souligne la nécessité du partage.
Ces « tables » concentrant visiblement l’essentiel de l’enseignement, figurent deux fois dans cet ensemble du Pentateuque, dans le livre de l’Exode (chap. 20) et le Deutéronome (chap. 5). S’il y a deux catalogues de lois, c’est qu’il y avait au moins deux traditions fixées en des périodes différentes…

Les « livres prophétiques » circulaient à part – nous en avons une trace dans le Nouveau Testament, puisque Jésus parle de la Loi – la Thora, c’est-à-dire les cinq livres du Pentateuque, et des Prophètes.
La traduction en grec constitue un événement phénoménal : on dispose à Alexandrie d’une collection complète des livres bibliques de l’Ancien Testament en grec, dès les années 150 avant Jésus, et comportant les apocryphes.
Alors que les livres se multipliaient, il fallait à un moment donné, définir ceux qui avaient le plus d’autorité, placer des critères d’une certaine norme. Voilà donc que des paroles d’autorité sont plus importantes que d’autres paroles d’autorité!

Il est intéressant de constater que l’on a retenu quatre « Evangiles » pour le Nouveau Testament , respectant ainsi un certain pluralisme – même entre les synoptiques, les trois évangiles qui se ressemblent (parce que Matthieu et Luc ont copié Marc pour l’étoffer) le tri n’a pas été imposé. Le canon arrêté n’a pas été admis unanimement. L’apocalypse n’avait été définitivement admise qu’au 10è siècle.

2. Des écrits issus de la tradition orale

Les écrits sont, sauf exception (les chroniques, les lettres), l’aboutissement de toute une tradition orale.
La critique textuelle permet de retrouver partiellement ces traditions.
A quelle occasion racontait-on ?
– Le père de famille juif répondait aux questions posées rituellement tous les ans pour expliquer par exemple le sens de la fête de pâque.
– les prophètes avaient souvent des écoles de disciples qui apprenaient l’enseignement du maître.
Sur ce principe sont constituées les écoles rabbiniques : Les disciples de Jésus mémorisent l’enseignement du maître.
Cette tradition orale a permis une transmission très fidèle – on déforme moins une histoire apprise par cœur qu’en la recopiant !
Des ensembles racontés pendant très longtemps comme, par exemple, la confession de foi de Deutéronome, chap. 6 v. 4 « Ecoute, Israël, L’Eternel notre Dieu, l’Eternel est un » ou encore : « Mon père était un araméen errant (nomade) », ont parcouru de longs siècles avant d’être écrits.
Des psaumes, ou des passages de psaumes, sont des compositions du roi David, probablement chantés avant d’être écrits.
Les évangiles fixent par écrit des paroles du rabbi Jésus et présentent un choix de récits concernant le Christ qu’ils proclament. Les paroles, apprises par cœur, reflètent fidèlement l’enseignement du maître. Il est clair qu’elles ont été regroupées, par la tradition d’abord, les évangélistes ensuite, – le « sermon sur la montagne » constitue visiblement une sorte de catéchisme. Il est clair que tout l’enseignement de Jésus n’a pas été transmis dans sa totalité. Des sélections ont été opérées selon les sensibilités des auteurs les besoins du moment pour répondre à des questions ou des situations vécues par les communautés destinataires des écrits. Marc n’a de loin pas reproduit toutes les paroles qu’il a pu connaître, puisque Matthieu et Luc ont ajouté la tradition dite des logia ou paroles (on lui donna le sigle Q, de « Quelle », la « source » des paroles). Elles ont été retouchées pour les adapter – tel l’exemple des « malédictions » contre les pharisiens en Matthieu, au chapitre 23, où l’évangéliste destine aux seuls pharisiens des paroles de Jésus orientées d’abord contre des groupes diversifiés, les scribes, les « docteurs de la loi » et les pharisiens.
Les récits ont été transmis beaucoup plus librement. Ils se réfèrent à des événements de la vie de Jésus, mais pour en dégager une pointe, en mettant par exemple en relief l’autorité par laquelle Jésus opérait les guérisons.

3. Des confessions de foi

Globalement, les évangiles sont des confessions de foi servant à transmettre un message, l’annonce de Jésus comme le Christ attendu pour sauver ou libérer le peuple d’Israël. . Ils sont, précisément en tant que confessions de foi, une interpellation de l’auditeur, voire du lecteur et une invitation à partager la foi.

Si Marc, dans ce qui semble être la première rédaction datant des années 55, invite clairement à suivre Jésus, la relecture ultérieure (vers l’année 70) a intégré l’idée de la nécessité d’un sacrifice de Jésus. Matthieu va plus loin. S’adressant toujours aux Juifs, il se démarque par rapport aux Juifs pharisiens, qui sont les grands challengers de l’époque de la rédaction de l’évangile aux environs des années 85 pour avoir pris le pouvoir religieux après la Guerre Juive terminée en 70, et propose de considérer l’église comme le « véritable » Israël (par rapport à ceux qui n’ont pas adhéré au messie Jésus), comme si, du temps de Jésus déjà, les pharisiens avaient été des opposants à Jésus, alors qu’ils étaient plutôt dans l’opposition par rapport au pouvoir religieux de l’époque alors dominé par le parti des saducéens.
Quant à l’évangile selon Jean, il est tout entier une longue confession de foi où le symbolisme règne souverainement. Jésus y est confessé par la communauté johannique comme « lumière », « chemin », « berger »,. De là à le présenter comme s’il s’était appliqué lui-même ces symboles – « je suis la lumière », « je suis le chemin », etc… – il n’y avait qu’un pas.

L’étude des évangiles permet de constater une évolution de la pensée et une différenciation suivant les milieux, les auteurs, les circonstances. – A tel point que les grands maîtres de la Formgeschichte, – l’histoire de la formation des textes des évangiles, – avec Martin Dibelius (Die Formgeschichte des Evangeliums, 1919, 1933), Rudolf Bultmann (Die Geschichte der synoptischen Tradition) en tête, et à la suite de Albert Schweitzer et de son ouvrage sur l’histoire des vies de Jésus (Geschichte der Leben-Jesu-Forschung), pensaient que l’on ne pouvait plus guère connaître le Jésus historique, si ce n’est au moyen de traditions qui relatent la vie et la pensée vues à travers les lunettes déformantes du contexte postérieur et des idées en vogue. Les spécialistes, aujourd’hui, pensent au moins approcher le Jésus historique à travers l’analyse critique des textes des Evangiles!

Nous retenons :
1. Toutes ces paroles écrites, parce qu’elles reprennent des paroles orales, mais aussi en tant qu’écrits, restent « paroles d’hommes » – pour reprendre le titre de notre propos.
2. Les textes bibliques expriment la foi de ceux qui les ont transmis.
3. Une grande diversité s’exprime dans la Bible. Chaque auteur biblique exprime sa foi à travers sa sensibilité, celle du groupe humain dont il relève. La foi est fonction de l’insertion religieuse, culturelle de l’auteur biblique.

La parole, même fixée par écrit sera, pendant longtemps, une parole communiquée oralement, puisque très peu nombreux sont ceux qui accèdent à l’écriture, elle est lue à haute voix, dans les maisons, dans les cultes – jusqu’aujourd’hui.
Remarquons :
1. que la Bible est un livre plutôt difficile à lire et à comprendre: Il faut toujours et encore replacer le texte dans son contexte, chercher le message et son sens pour les destinataires du texte, avant d’en tirer la leçon pour nous.
2. l’étude de la Bible permet de constater une évolution des représentations religieuses, notamment en ce qui concerne l’idée de Dieu et la compréhension de la personne de Jésus (de prophète et guérisseur, il devient le messie, et enfin le seigneur, voire le « sauveur »).
3. L’écrit ne transforme pas la foi vivante des témoins qui s’expriment dans la Bible en une vérité immuable et définitive.

 

II. Parole de Dieu ?

Comment alors prétendre trouver dans cette Bible la parole de Dieu ? Peut-on interroger Jésus ? Quel est l’avis des Réformateurs?

1. Question aux Evangiles

Qu’est-ce que la Parole d’après Jésus et à quoi sert-elle ? Il est clair que nous ne pouvons qu’approcher ce qu’en pensait Jésus puisque la tradition qui est à la base des évangiles a constamment réactualisé l’enseignement de Jésus – et les rédacteurs en font de même..
Traditionnellement, on voit dans la semence de la parabole du semeur, en Marc 4, 3-9, un symbole de la Parole de Dieu, portée par Jésus.

Marc montre, à travers cette parabole que la prédication de Jésus, l’annonce même du message de la proximité de Dieu (cf « le royaume de Dieu est proche ») et, bien sûr, la manière d’accueillir ce message sont déterminants. Jésus n’utilise pas le terme « Parole », encore moins qu’il est lui-même la Parole, comme l’exprime l’évangile selon Jean. C’est par la prédication de Jésus que la parole de Dieu prend forme. Elle n’est pas donnée au préalable comme une entité préexistante. Elle naît, elle surgit à travers l’action de Jésus. Elle prend corps à travers l’action d’annoncer et de recevoir cette interpellation.
Le terme « Parole » est utilisé par l’évangéliste Marc dans son explication donnée de la parabole aux versets 14-20, explication qu’il attribue à Jésus .
Ceci montre qu’à mesure que la tradition évolue en avançant dans le temps, le terme se profile – jusqu’à confondre, sous la plume de l’évangéliste Jean, Jésus et la Parole . Marc laisse entendre que Jésus est le porteur de cette Parole. Non pas, certes, le seul porteur! .. L’important reste que les humains sachent recevoir cette interpellation et s’ouvrir à une présence de Dieu, qui se concrétiserait par l’arrivée du royaume attendu et à laquelle les auditeurs se prépareraient activement.

Il est intéressant de noter que l’évangéliste Matthieu fait commencer l’activité de Jésus par la proclamation d’un enseignement de Jésus qui, tel Moïse, monte sur la montagne et qui, plus que chez Marc, est celui qui apporte la Parole, à tel point que l’on se demande s’il n’apporte pas une nouvelle « loi » – voir les antithèses de Matth 5, 21-48 : « Il vous a été dit que… mais moi, je vous dit… ».
On connaît aussi la remarque de l’évangéliste Matthieu, assurant ses lecteurs, que Jésus « enseignait avec autorité, et non pas comme leurs scribes », – sous entendu, comme les scribes pharisiens de la fin des années soixante auxquels les chrétiens de l’église matthéenne étaient confrontés.

L’évangéliste Jean, à la fin du premier siècle, identifiera quasiment la personne de Jésus avec le logos, la parole – qui est de Dieu et qui est en Dieu – et lui donnera une couleur quasi divine : « Je suis le bon berger », « je suis la vérité », « la lumière », etc.

On retiendra que le Jésus historique, dont Marc est le plus proche, et pour autant qu’on puisse l’approcher, se situe dans la ligne des prophètes de l’Ancien Testament : C’est à travers l’acte de parler que la Parole prend corps. Elle devient Parole parce qu’elle est exprimée et qu’elle est donc action.

2. Pour les Réformateurs, la parole biblique reste une parole proclamée.

La conception de l’Ecriture comme référence première ou dernière, le « sola scriptura » de Luther – qui s’explique par le fait que Luther s’est vu obligé de se démarquer de Rome, en établissant une autorité qui soit supérieure à celle, si humaine, du Pape…
Luther a, d’une certaine manière, figé la compréhension de la Bible. Mais peut-être malgré lui! Car on sait qu’il a eu ses préférences scripturaires – l’épître de Jacques n’a pas sa place dans la Bible avait-il estimé, parce qu’elle n’abondait pas suffisamment dans le sens de sa théorie préférée, la justification par la foi!

La Confession d’Augsbourg (1529) ne consacre pas d’article à l' »Ecriture », mais celle-ci est considérée comme source et règle de la foi de toute la chrétienté et « figure implicitement comme le premier des moyens de grâce » . Melanchton, comme Luther, parle de l’Evangile : La parole de Dieu est toujours une parole proclamée, annoncée, le mot « évangile » signifiant message, bonne nouvelle :
L’Article 5 de la Confession d’Augsbourg dit : « Pour qu’on obtienne une telle foi, Dieu a institué le ministère de la prédication et donné l’Evangile et les sacrements. Ainsi, comme par des moyens , il donne le Saint-Esprit, lequel opère la foi où et quand il veut en ceux qui écoutent l’Evangile. Cet Evangile enseigne que c’est grâce au mérite du Christ, et non aux nôtres, que nous avons un Dieu qui fait miséricorde si nous croyons à une telle doctrine. »
Ici, l’Evangile est compris, comme la Thora, comme un enseignement! Mais il appelle la foi au Christ. Le seul mérite qui revient au croyant pour avoir la foi est d’écouter l’Evangile, le Saint-Esprit opère le reste, mais non pas automatiquement, parce que l’Evangile est proclamé.

En résumé, à quoi sert la Parole ? Pour Jésus, elle nous aide à « porter des fruits » (Marc 4). Pour les Réformateurs, elle nous met en contact avec Dieu afin de nous faire prendre part à la grâce divine (Luther), pour nous faire connaître l’amour de Dieu pour nous (Calvin).
Dans l’un et l’autre cas elle est parole proclamée.

3. Parole de quel Dieu ?

La parole biblique en tant que parole de Dieu, est une parole de Dieu vers nous.
Mais de quel Dieu ?
L’image même de Dieu a évolué, changé. Notre Dieu est peut-être à chercher davantage dans les quelques 90% de matière issue du big-bang dont on n’a jusque-là pas trouvé trace. Si jadis la fine pointe de l’âme était censé toucher la sphère divine, aujourd’hui tout reste ouvert pour dire que c’est la pensée qui nous rapproche le plus de Dieu.
« La parole n’est pas sur ma langue que tu la connais entièrement », le Psaume 139 présente la pensée humaine du croyant comme étant en osmose avec celle de Dieu.
J’ai eu l’occasion de présenter Jésus comme un prophète, un guérisseur, mais aussi un candidat à la royauté en son temps et, donc, comme un personnage pleinement humain qui se positionne vis-à-vis de Dieu de façon responsable dans sa manière de prendre en compte la réalité humaine, sociale, politique de son temps. Il nous invite donc à une attitude éthique dans son sillage, mais sans nous imposer des choix qui seraient éternellement valables.

Enfin, Dieu se révèle de bien des manières. Il n’est pas nouveau de le constater. Si la nature exprime sa présence, à plus forte raison il est aussi en nous. Je le dis sous forme de confession de foi personnelle, mais que je partage avec d’autres croyants, à commencer par le rédacteur du livre de la Genèse qui, reprenant sans doute une idée déjà largement exprimée par ses contemporains, que la vie est une parcelle du « souffle » de Dieu en nous (Genèse 2). Ecouter sa parole revient aussi à l’écouter en nous. La foi partagée avec d’autres est déjà en même temps parole de Dieu reçue en nous, exprimée et reçue par d’autres.

Il paraît alors plus légitime de parler d’une parole de Dieu qui advient à travers nous, et dans l’échange avec la parole qui advient à travers d’autres. Elle ne prend corps que si elle est exprimée et reçue, partagée, répercutée, réexprimée, reformulée et renvoyée dans un devenir.
La parole d’un prophète ne devient parole de Dieu que si elle est reçue, partagée, repensée.
Si Dieu parle ainsi, personne ne peut évidemment avoir la prétention de l’exclusivité de la parole de Dieu.

Dans ce cas de figure, y a-t-il une parole de Dieu relativement objective? Une parole partagée s’objective. Elle sera vérité pour un groupe, une communauté, un peuple. Elle restera nécessairement diverse dans son expression et sa réception.

Il est évident que cette compréhension risque de heurter la compréhension luthérienne d’une révélation par le seul biais du « Christ », conception qui contredit d’ailleurs l’affirmation tout aussi luthérienne de la Bible comme Parole de Dieu.
Une conception de la Bible comme un ensemble de témoignages divers donne par ailleurs aux chercheurs bibliques suffisamment de liberté et de recul pour questionner sans a priori la Bible sur ses vérités…, c’est-à-dire essentiellement sur les messages qu’elles cherche à faire entendre.

Remarquons qu’en vertu d’une telle conception, nous ne saurions souscrire au dogme catholique, dont la véracité est scellée par le « gouvernement » de l’Eglise, et dans la mesure où ce dogme considère comme un enseignement normatif, son contenu définitif et immuable.
Nous sommes évidemment proches de certains théologiens catholiques contemporains comme Hans Küng ou Eugen Drewermann. Se référant à l’autorité de l' »Ecriture », Küng demande que l' »Esprit de Dieu » puisse souffler, si l’on peut dire, et animer l’Eglise.

Conclusion : Une parole de Dieu en devenir.

Nous avons vu que la Bible est un ensemble de paroles circonstanciées, c’est-à-dire formulées dans des circonstances concrètes pour des destinataires qui sont, par ailleurs, avant tout, et pendant très longtemps, non pas des lecteurs, mais des auditeurs de paroles lues et… choisies.
La Bible est-elle alors pour autant une vérité universelle ? Est-elle la Parole de Dieu ?
Paroles d’homme, les paroles bibliques sont des témoignages humains au sujet de Dieu tel que notre culture et ses symboles, notre religion et ses représentations, notre vécu, nous permettent de le percevoir. Il ne faut ni sous-estimer ses écrits, – ils sont, en tant que témoignages de foi, toujours respectables – ni les surestimer au point de leur vouer un culte

La parole humaine ne peut prétendre être jamais parole de Dieu, sinon d’un Dieu dont la réalité nous dépasse et dont nous avons la conviction qu’il est en même temps très proche de nous – disons au fond de nous – et dont nous sommes une petite étincelle à travers l’univers.
Notre parole sera toujours relative, conditionnée par notre culture et notre histoire, notre vécu, nos désirs avoués ou inavoués. Mais elle est témoignage au sujet du Dieu auquel nous croyons.
Elle est d’abord témoignage de la manière dont nous ressentons Dieu, puis de la manière dont nous vivons la conscience que nous avons d’en être une composante.

Les témoins bibliques sont irremplaçables. Continuons de les interroger sur leur foi, – à commencer par l’homme de Nazareth, le maître de l’école de Capernaum.et du lac de Génézareth.

Mais il faut bien relativiser l’Ecriture : elle n’est pas la seule source de la foi – n’en déplaise à Martin Luther. Tous les témoins de foi nous interpellent. Par ailleurs, et pour ma part, je trouve dans les sciences, une sorte d’invitation à la foi. L’horizon de l’univers s’ouvre toujours plus largement, à mesure que les sciences nous en font découvrir certains aspects. Mais surtout les sciences « permettent » aujourd’hui l’expression de la question du sens de l’univers, sans la résoudre, certes. Elles constatent aujourd’hui que l’explication du monde par l’enchaînement logique des événements ne suffit plus à expliquer l’univers. Le champ de la foi reste ouvert.

Nous sommes en devoir, ne serait-ce que par respect des convictions humaines, de considérer que tout questionnement humain sur l’identité (du pourquoi de notre « Dasein ») et du devenir de l’être est respectable. Cela conduit à reconnaître, voire à prendre en compte, ces nombreux autre témoins de la foi, à l’intérieur du christianisme – par exemple les « Pères », à l’extérieur du christianisme les religions autres que chrétiennes.

Nous parlons donc de parole de Dieu uniquement comme parole qui exprime la relation de l’être humain à Dieu. Dans ce sens, la Bible est évidemment parole de Dieu. étant entendu qu’elle toujours une parole de foi, de conviction, parce qu’elle est portée par l’être humain. Elle n’est jamais une certitude scientifique.
Ainsi toute parole au sujet de Dieu exprimant notre relation à Dieu, en somme, notre conscience de notre statut humain, la conscience que nous avons d’être du monde, d’avoir une place dans le cosmos, et en même temps la conscience que nous avons de ce monde, – cette conscience étant notre manière de nous élever au-dessus de cet univers, de prendre du recul – sera, à sa façon parole de Dieu.

A l’exemple de Jésus, entre autre témoins, par nos paroles et nos actes, celles de tous les témoins, que la parole de Dieu prenne forme, qu’elle continue de naître, de surgir, de prendre corps.

Ernest WINSTEIN

(d’après une conférence donnée dans le cadre des rencontres de l’Union Protestante Libérale à Strasbourg le 14 mai 2003)