Par notre corps, être… temple de Dieu !

10 décembre 2018 Non

 

Textes :
– I Corinthiens 6, 9-14 et 18-20 :  » Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du saint-esprit qui est en vous.  » (6,19).
– Matthieu 5, 13-16 :  » Vous êtes le sel de la terre… « 

 » LE CORPS A SES RAISONS « , est le titre d’un livre écrit par Thérèse Bertherat et Carol Bernstein, publié il y a une vingtaine d’années et toujours réédité. Le titre sous-entend : Le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Thérèse Bertherat lance ce que l’on appelle l’anti-gymnastique : en réalité une gymnastique différente de celle qui tend à faire le forcing avec son corps. Elle dénonce la pratique d’une gymnastique qui stresse le corps. Qui, non seulement malmène le corps, mais qui nous stresse, nous, en tant que personne, individu, être humain.
L’auteur montre à l’appui de cas précis, tels que lumbago, lombalgie sciatique aiguë, impuissance, ou autres… comment résoudre tout en douceur le problème, sans jamais forcer. Elle met le doigt sur le fait que, depuis notre enfance, notre corps subit des pressions de toutes sortes – « fais pas ci, fais pas ça… » – familiales, morales et sociales. Il en résulte que pour nous y « conformer », notre corps est « déformé », ou douloureux.

 

Du mal-être au bien-être

N’y a-t-il pas là un étrange parallèle avec le raisonnement de Paul. Ne faisons pas d’amalgame. Mais dans l’un et l’autre cas, le souci est de nous aider à nous débarrasser de ce que l’auteur pense être la cause de notre mal-être ou d’une partie de notre mal-être.

– Dans le cas de Paul, il s’agit de comportements jugés amoraux par l’apôtre, ou anti-divins, ou, comme nous l’avons évoqué récemment, de quasi-concurrence à Dieu, la volonté d’être comme lui, voire de se mettre à sa place. Comportements qui sont autant de manières d’éloigner notre corps de ce à quoi il est destiné : être compris et soigné comme cette belle création de Dieu, ou, pour reprendre la formule de Paul dans notre texte, le lieu de la présence de Dieu : Temple de l’esprit saint.
– D’une manière très semblable, Thérèse Bertherat rend au corps sa dignité, en tentant d’empêcher que nous le malmenions, en somme que nous nous malmenions !
Au fond, l’objectif recherché est de nous permettre de mieux vivre, de connaître un certain bonheur du corps, j’ajouterai, du corps que nous sommes. De nous permettre d’  » être  » avec, et à travers notre corps. « Etre c’est ne jamais cesser de naître », écrit Thérèse Bertherat.
La méthode préconisée nous propose de libérer notre corps, de prendre conscience de notre corps et de découvrir des possibilités insoupçonnées. « Notre corps est nous-mêmes. Nous sommes ce que nous semblons être ».

 

La leçon de morale

Pourquoi, alors, se compliquer la vie avec les discours hermétiques de l’apôtre Paul, peu accessibles à notre esprit d’humains du 20è siècle ? Certes, les dits de l’apôtre témoignent d’une belle culture. Nous sommes peut-être tentés de simplifier les choses en ne retenant que le catalogue moral. Mais alors, il faut aussi s’y tenir avec obstination ? En toute honnêteté de protestant d’inspiration luthérienne, je ne puis m’empêcher de poser la question : comment prétendre que nous vivons de la grâce de Dieu, alors que nous faisons tant d’efforts pour être dans la droiture de l’évangile moral paulinien ?!
Le questionnement est lancé et il nous faut essayer de comprendre un tant soit peu les propos de Paul. Le texte a de quoi vous prendre à rebrousse-poil. Paul, non seulement prend de haut des gens dont la conduite morale ne lui plaisait pas, mais il va jusqu’à retourner le couteau dans la plaie de ceux qui ont eu des comportements fâcheux qu’il dénonce. Comme si, lui, était au-dessus de tout cela. Prétentieux, donc, l’apôtre de la foi qui sauve ! Ne pourrait-on, en suivant la même logique, lui rappeler que son péché à lui, visiblement effacé à ses yeux par la grâce de Dieu, est tout de même bien plus grave, comparé à ces comportements qu’il dénonce, puisqu’il a persécuté des chrétiens. L’auteur du livre des Actes est gêné par l’implication de Paul dans le meurtre d’Etienne. Probablement le futur  » apôtre  » n’a-t-il pas été seulement témoin, mais aussi lanceur de pierres. Et s’il va chercher des disciples de Jésus à Damas pour les amener liés à Jérusalem (Actes 9,2), l’acte est grave. Il croyait certes, à l’époque, être au service de Dieu. Mais en réalité, par son comportement, il s’est déporté loin de Dieu, plus loin que les pécheurs qu’il dénonce.

 

Plutôt que de culpabiliser, Jésus fait confiance.

Paul chercherait-il à évacuer sa culpabilité, en culpabilisant les autres ? On pourrait le penser.
Toujours est-il qu’il se comporte à la manière du pharisien qu’il fût. Il accepte difficilement une certaine liberté que s’octroient les païens devenus chrétiens.
Pour permettre aux humains de vivre ensemble, il leur faut, évidemment, une organisation, des règles qui s’imposent à tous ; il faut donc aussi prévoir des sanctions pour ceux qui mettent en danger le vivre ensemble.
Mais a-t-on vraiment besoin d’une sorte de sacrifice expiatoire, comme l’entend Paul, pour avoir une attitude positive dans le monde dont nous sommes partie prenante ? Bien plus qu’un catalogue moral, les paroles de Jésus que rappelle l’évangile du jour nous aident à, ce que l’on pourrait appeler, dans la ligne d’un Schweitzer, mais dans l’esprit de la Réforme en général, un comportement éthique. Elles nous donnent une perspective en nous appelant à être sel de la terre et lumière du monde. Fallait-il que Jésus paie le prix fort pour que le pécheur vive ? Les paroles de Jésus rassemblées dans le  » sermon sur la montagne  » (Matth., chap. 5-7) montrent que Jésus fait confiance à ceux qui les entendent et qu’il les estime capables d’une attitude éthique ou morale, ou simplement responsable, sans qu’il ne paie préalablement de sa vie.

 

Etre sel de la terre et lumière du monde

Comment être  » sel  » et  » lumière  » si ce n’est à travers notre corps ? Nous ne pouvons l’être qu’en  » positivant  » notre corps. Dieu y est présent, dès avant notre naissance, de son souffle vital. Tout notre être est appelé à participer à rendre Dieu présent.
Etre sel et lumière consiste alors à prendre la route avec Jésus et, en son nom, lutter contre ce qui porte atteinte à la vie. Ceux qui sont sur le terrain pour aider d’autres à faire face aux difficultés de toutes sortes, morales ou physiques savent que cela peut coûter, en efforts, en volonté. Même et justement ceux qui sont engagés pour de grandes causes connaissant les limites de leur engagement et le sentiment d’impuissance face aux drames qui se déroulent parfois sous les yeux du monde entier – nous ne pouvons manquer d’évoquer et d’avoir une pensée forte pour eux, les Libanais qui fuient, qui sont blessés, qui sont tués.
C’est au quotidien que nous sommes appelés à être sel et lumière, en toute simplicité, là où nous vivons. Peut-être en mettant un léger plus à la  » pâte  » de notre vie, une attention plus soutenue pour ceux qui ont besoin de se sentir reconnus, acceptés, soutenus. Le sel, somme toute, c’est bien peu de chose et pourtant cela compte !
Les chrétiens peuvent ainsi être sel et lumière et l’être de façon discrète, mais efficace. En la portant en eux, cette lumière est le flambeau de leur la foi, le sentiment que Dieu est avec eux.
Et c’est bien le corps, dénominateur commun à tous, qui nous permet de communiquer, d’exister avec d’autres, de faire un bout de chemin avec eux. De ressentir aussi leur chaleur, leur présence.
Une manière d’être par notre corps, le temple de Dieu.

 

Ernest Winstein
Saint-Guillaume, Strasbourg, 6 août 2006 (8è dimanche dans le temps de l’église)