Etre chrétien demande aussi une réflexion et un effort.

11 décembre 2018 Non

Luc 16, 1-16

« … tout homme déploie sa force… »

Une dame sonne à ma porte : elle aurait besoin d’un petit subside et me rembourserait la semaine prochaine… Je lui dis que je ne vais pas faire de miracle, mais lui donne 2-3 € pour un sandwiche.  » Alors je vous devrai 7 euros que je vous rembourserai.
Comment 7 € ?
Avec les 5 de l’autre fois.
Il me semblait bien l’avoir déjà vue, mais je n’avais plus pensé aux 5 €.
Tous les mendiants ne sont pas aussi scrupuleux, certains à qui l’on demande de revenir un peu plus tard vous dira : vous croyez que j’ai du temps à perdre.
Pourtant dans cette histoire, l’ingrat n’est-ce pas moi, puisque je ne savais plus la promesse qu’elle m’avait faite.
Il n’y aura probablement pas de remboursement
Mais je constate combien le petit geste, à la limite du ridicule, comptait.

 

Où est la vérité et qu’est-ce qui fait vivre ?

Je vous raconte cette histoire parce qu’on ne sait pas très bien où est la vérité au sujet de la justice et de la générosité, ou simplement de ce qui fait vivre – comme dans cette histoire qui sert de parabole dans ce passage de Luc 16

La justice ? Je sais bien qu’avec mes 3 euros je ne changerai pas fondamentalement la situation de défavorisée qui frappe la dame. La générosité ? Je ne me sens pas en mesure de distribuer 3 euros à tous les nécessiteux que je rencontre ; mais ces 3 euros d’aujourd’hui ne vont pas déséquilibrer mon budget. Je ne fais que donner une aumône.
Quant à ce qui fait vivre : Peut-être les 3 euros vont-ils effectivement servir à acheter un casse-croûte. Mais ce qui fait vivre n’est-ce pas davantage que quelqu’un ait ouvert la porte ; et qu’elle se soit souvenue qu’on lui avait déjà ouvert la porte m’interpelle, moi qui déclarait ne pas pouvoir faire de miracle, au point que celui qui a reçu, est peut-être plus le donneur que la bénéficiaire des 3 €…

Notre parabole nous entraîne aussi, à sa manière, sur un terrain où nous sommes comme déstabilisés :
On peut se demander dans quel milieu Jésus est allé puiser cette histoire d’intendant dont la situation est vraiment sans issue ! Cela ressemble fort à une sorte de grosse mafia…
L’homme a tout grillé. Il n’aura que ce qu’il mérite. Pourtant, comme un chat que l’on jetterait par la fenêtre, il retombe sur ses pieds.
A la limite, l’homme riche, dont il n’est pourtant d’abord rien dit de défavorable, semble ressembler à une sorte de gros parrain… Car au fond de lui-même, il a l’air de très bien comprendre la manœuvre de celui qui a pourtant dilapidé une partie de son patrimoine. Et qui continue à le faire.
Car, sur le plan de la pure logique, son attitude est absurde. Comment le maître peut-il louer l’intendant infidèle qui le prive en plus d’une partie des biens à percevoir ?

Faut-il considérer cette histoire comme de l’ironie pure, lorsqu’il est dit que le maître loue l’intendant infidèle qui a détourné ses sous ?
La remarque sur les enfants du siècle n’est-elle pas ironique, elle aussi ? – ceux qui sont loin de ce qui est appelé le bien véritable  » (v. 11), se comporteraient de manière plus intelligente que les  » enfants de lumière « .

 

Mieux que des enfants de lumière béats

Qui sont ces enfants de lumière ?
Dans le contexte de Luc vers les années 90 il s’agit des chrétiens.
Pour rentrer dans la logique du texte, il est donc bon de ne pas trop confondre les deux mondes :
– Celui qui fonctionne à la manière des enfants de ce monde – et alors Jésus a l’air de dire que ce monde n’est pas capable de fonctionner autrement qu’en enfreignant des règles de justice – ce faisant Jésus excuserait les agissements peu conformes à la volonté de Dieu… Une manière de mettre en avant, peut-être, que rien n’est complètement perdu pour personne…
– Le monde de ceux qui font confiance, avant tout, à la grâce de Dieu. Les enfants de lumière !
Il s’agit alors davantage d’une parabole revu par la tradition chrétienne et adaptée pour l’église des années 80 :
Vous avez raison, a l’air d’expliquer l’évangéliste Luc, à ses contemporains – qui semblent d’ailleurs se situer dans la sphère influencée par Paul – un milieu que Luc connaissait bien et pour lequel il écrit – il écrit justement l’enseignement de Jésus tel qu’il le comprend un demi-siècle après le Jésus historique :
Vous avez raison, de penser que la foi en Dieu est essentielle, que l’amour de Dieu, personne ne peut le mériter vraiment. Mais ne soyez pas des enfants de lumière béats.
Ne croyez pas qu’en restant là à regarder le ciel, tout le reste arrivera tout seul.
La lumière n’est-elle pas ce qui vous extrait des ténèbres, pour vous faire vivre – vivre autrement qu’en restant englués dans des situations sans issue.
Il convient donc aussi réfléchir, utiliser votre intelligence pour vivre.
N’attendez pas pour faire des choix.
Et enfin mettez la main à la pâte – même si la pâte laissera des traces de farine sur vos bras et de pain non cuit sur vos doigts.

Et là nous sommes dans le concret :

Notre vie, que nous remplissons de tant de choses parfois bien futiles, est précieuse si nous savons y trouver ces petits riens qui font vivre. Dans la difficulté, un mot qui relève.
Et peut-être entendre un message de la part de ceux dont nous pensons que nous n’avons rien à recevoir – la femme de tout à l’heure.
Le baptême, aussi, nous ramène à l’essentiel : à la vie qui nous est donnée, à ce lien – baptiser signifier relier à Dieu / ou prendre conscience du lien – ce fil de la vie que nous n’avons pas créé, auquel nous avons part.
Entrer dans le royaume de Dieu demande un effort. Et une certaine lucidité.
Aujourd’hui, ne pas voir en face les problèmes qui se sont révélés ces dernières deux semaines, et qui sont certainement le fait de l’immigration, serait une manière de se cacher la réalité et d’aggraver la situation.
Mais on ne peut pas non plus revenir en arrière et une des données est bien celle de l’emploi des jeunes qui sortent de milieux d’immigrés qui eux, étaient venus ou que l’on a cherchés, parce qu’il y avait du travail.

 

En conclusion : Déployez votre force

Il nous faut donc prendre cette histoire de Luc 16 au second degré…
L’intendant infidèle, s’il trouve quelque refuge auprès de ceux qu’il a favorisés en rajoutant au demeurant à sa cupidité et en chargeant sa barque, ne sera pas, en toute logique, et d’après ce qui suit, celui qui émergera dans les  » tabernacles éternels « . Car, et la leçon est claire : Etre fidèle en peu de choses, est une garantie d’authenticité.
Etre fidèle à Dieu, en somme !!! Serait la leçon finale du texte, en somme : commencer par prendre conscience que nous tenons tout de lui, et faire l’effort de savoir vivre des dons qu’il donne !
En d’autres termes, nous sommes invités à prendre nous-mêmes toutes nos responsabilités d’hommes et de femmes croyants et engagés. En somme, à prendre en compte et répondre à l’appel du v. 16 :  » Tout homme déploie sa force  » pour entrer au Royaume de Dieu. Un Royaume qui est au présent de notre vie, au présent de notre monde!

 

Ernest Winstein
(13 novembre 2005, St-Guillaume, Strasbourg).

 

Le texte de Luc, chap. 16 v. 1 et suivants :

 » 1 Jésus dit aussi à ses disciples: Un homme riche avait un économe, qui lui fut dénoncé comme dissipant ses biens.
2 Il l’appela, et lui dit: Qu’est-ce que j’entends dire de toi? Rends compte de ton administration, car tu ne pourras plus administrer mes biens.
3 L’économe dit en lui-même: Que ferai-je, puisque mon maître m’ôte l’administration de ses biens? Travailler à la terre? je ne le puis. Mendier? J’en ai honte.
4 Je sais ce que je ferai, pour qu’il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons quand je serai destitué de mon emploi.
5 Et, faisant venir chacun des débiteurs de son maître, il dit au premier: Combien dois-tu à mon maître?
6 Cent mesures d’huile, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet, assieds-toi vite, et écris cinquante.
7 Il dit ensuite à un autre: Et toi, combien dois-tu? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit: Prends ton billet, et écris quatre-vingts.
8 Le maître loua l’économe infidèle de ce qu’il avait agi prudemment. Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l’égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière. »