Dossiers théologiques

20 décembre 2018 Non

I ) A propos de « l’humanité de Jésus »

II ) La croix en appelle à la vie

III ) La question d’un possible « tombeau » de Jésus

IV ) Jésus et Marie-Madeleine (ou Jésus avait-il un enfant ?)

V ) Les ministères de l’église dans le Nouveau Testament

VI ) Jésus, fils de Joseph et Marie

VII ) Jésus, le messie, fondateur, malgré lui, d’une nouvelle religion

VIII ) Jésus, l’homme, mon maître, mon frère…

 

A propos de « l’humanité de Jésus »

Approcher l’humanité de Jésus libère la parole

L’importante participation à notre colloque sur  » l’humanité de Jésus  » (19-20 mars 2008), organisé conjointement par l’Union protestante Libérale, Evangile et Liberté et la paroisse Saint-Guillaume, a montré combien l’intérêt pour l’homme Jésus est vif.
La thématique a trouvé des échos, bien au-delà du cercle des participants, et jusqu’en Suisse, à Luxembourg, en Belgique, à La Réunion. Le débat ainsi ouvert a permis à certains d’exprimer leur propre questionnement, de nous livrer leurs pensées et interrogations. Nous aurons sans doute contribué à une sorte de  » libération  » que d’autres attendent sans trop oser l’espérer…

Décaper patiemment le vernis du dogme

Une correspondante nous écrit avoir découvert, il y a peu de temps, le site de Théolib, en même temps que plusieurs livres d’André Gounelle qui l’  » ont réellement réveillée et secouée « . C’était, pour elle, le moment d’ouvrir tout un questionnement et de constater :
 » Tout cela m’a permis – me permet – de décaper patiemment une sorte de vernis dont je n’avais pas conscience. . Oser questionner le dogme, la tradition, mon rapport à la tradition, je l’ai toujours fait  » à voix basse  » : j’ai longtemps fait partie de ces rebelles tièdes qui se taisent pendant que l’assemblée récite le « credo » ! Oser explorer d’autres manières de faire, de dire, questionner mes représentations, et celles des autres religions, j’apprends à le faire maintenant  » à haute voix « .

 » La remise en route d’un questionnement théologique… m’a permis de me dégager de certaines loyautés (le  » religieusement correct « ). Je ne me souviens pas avoir entendu discuter la divinité de Jésus, la question trinitaire, ni réfléchi au(x) sens du  » mort pour nous  » et ni du sacrifice, ni de la résurrection : et pourtant cela me paraît aujourd’hui fondamental ! Peut-être n’ai-je pas su entendre le discours : il m’aurait trop déstabilisée ? Possible ! Toujours est-il que là où je suis maintenant, les réponses toutes faites ne me conviennent plus.
Questionner, pour moi, ce n’est pas démonter mais plutôt explorer : les textes bibliques, la tradition et mon rapport à l’histoire, les contextes, confronter des représentations et notre expérience (s) de Dieu… Tout passe par le lien, le partage, l’échange.
Une des questions qui surgit aussi, c’est le « et alors ? » Des choses changent pour moi, mais ensuite ? J’en fais quoi, je vis ça comment, au niveau de ma paroisse, de ma communauté ? »

Et c’est là que l’on se rend compte que l’important pour chacun, n’est pas de vivre ce que dit l’Eglise (quelle qu’elle soit) mais de vivre notre foi, cette foi qui n’est jamais acquise, qui n’a de réalité que vécue et prend corps à travers nous.
Notre correspondante pose justement la question de savoir si, « dans le fond, une communauté est vraiment nécessaire? », « et sous quelle forme ? »

Oser réfléchir librement permet aussi de tisser des réseaux

Constatons que, dès lors qu’une réflexion s’engage, une forme de communauté naît. Cette réflexion n’est possible qu’à partir d’expressions de la foi qui naissent elles-mêmes à partir d’un  » partage de foi  » ou de telle ou telle forme de vie ou activité ecclésiale. Dans ce sens, une structure ecclésiale classique, institutionnelle, sera utile. Mais ne sera pas d’une impérieuse nécessité. En effet, il est plus important que nous donnions forme aux vérités découvertes, que nous transcrivions au quotidien nos choix que le cheminement, la réflexion, le libre débat auront permis de profiler ou de préciser.

On pourra dire que ces lieux de libre-débat, – proposés par exemple par l’Union Protestante Libérale et d’autres organisations proches comme Evangile et Liberté, Théolib, etc, favorisent, implicitement ou explicitement, l’émergence de réseaux qui sont autant de lieux d’église – ceux-ci ne vont pas à l’encontre des Eglises-institutions, mais les complètent, les interpellent, donc les stimulent !

Dans ces réseaux peut s’exprimer ce qu’une participante à notre colloque appelle l’  » amour de Jésus  » – elle le dira sous forme d’une interpellation qui, forcément, nous touche : « vous n’aimez pas Jésus comme Schweitzer l’a aimé » ! Honnêtement, en dépouillant notre approche de toutes ces grilles de lecture qui ont été longtemps imposées, et qu’on a longtemps imposées, nous nous sentirons certainement très proches de lui, Jésus. Nous nous sentirons proches de l’homme, de sa foi, de son engagement. Comment l’aimer plus?!

Ernest Winstein

Les textes du Colloque du 29-30 mars 2008 à Strasbourg sont publiés dans le recueil « L’humanité de Jésus » (En vente à la Librairie Oberlin 22 Rue de la Division Leclerc 67000 Strasbourg, Tél. 03 88 32 45 83, coût 8€ + frais d’envoi. Il peut aussi être demandé au siège de l’UPL). Contributions de :
Ernest WINSTEIN, « Jésus a-t-il promulgué une nouvelle loi ? L’homme Jésus sur l’arrière-plan du Judaïsme de son époque » ; Jean-Paul SORG,  » Jésus vu par Albert Schweitzer « , André GOUNELLE,  » Le Christ, être nouveau « ,  » la résurrection « ,  » la foi et la vie chrétienne « , Frédéric ROGNON,  » Jésus postmoderne ? ».

Les réflexions et recherches des chercheurs et penseurs contemporains nous permettent d’approcher, même si l’entreprise est difficile, la personne du Jésus historique, de mieux saisir l’engagement concret du maître de Nazareth auprès de son peuple et, donc, d’être interpellés par lui quant à notre engagement dans le monde d’aujourd’hui. Bénéfique retour aux sources pour qui ose déposer quelques a priori ou formules traditionnelles sur le  » sauveur « , le  » rédempteur « , le  » fils de Dieu »,…

 

La croix en appelle à la vie

Par Ernest Winstein

Prédication prononcée le Vendredi-Saint 21 mars 2008 à Saint-Guillaume sur le texte d’Esaïe 53 (le serviteur souffrant) en liaison avec les textes sur la crucifixion de Jésus

Thème : L’homme souffrant est un témoin de la vie et non l’objet d’un projet de mise à mort d’un père-dieu. Le projet de Dieu continue. Il est projet de vie, non de mort.

Au long des meetings publics ou sur les écrans de télévision, les candidats aux élections ont professé leur  » foi  » – leur foi politique, certes. Une profession de foi, c’est ainsi que l’on appelle, en effet, les déclarations déposées dans nos boîtes aux lettres, exprimant les projets ou programmes proposés par les candidats et pour lesquels ceux-ci sollicitent l’adhésion des électeurs.
Le public, à quelques exceptions près, avait déjà fait son choix. Alors, il compte les coups, applaudit, siffle, parfois même hurle.
Les supporters témoignent – de leurs candidats, de la valeur de leur personne – ils disent pourquoi ils ont foi – foi en… la foi de leurs candidats.

L’ambiance est somme toute assez semblable à Jérusalem, avant l’exécution de Jésus dont nous nous souvenons tout particulièrement le vendredi-saint.
Le climat est tendu. Il y a les  » pour  » et les  » contre « . Ils sont côte à côte, se frottent entre eux, crient,  » témoignent « !

On sait combien les supporters enthousiastes sont encore plus enthousiastes lorsqu’ils sentent la victoire de leur chef de file.
On sait comment la ferveur peut tomber et que certains même sont capables de retourner allègrement leur veste : Jésus a pu se demander jusqu’où allait la foi de certains de ses disciples… Leur enthousiasme est vite retombé. Rapidement, ils sont terrassés. Certains supporters se seront laissé manipuler à témoigner contre Jésus – on sait que les grands-prêtres ont eu recours à de faux témoins.

Et nous en sommes là, en ce vendredi-saint à nous dire touchés par l’humanité de l’homme affirmée jusqu’à la souffrance. Nous ressentons l’engrenage de la situation, nous palpons la difficulté de certains témoins de l’époque à s’y retrouver.
C’est pourtant  » avec foi  » que nous venons  » témoigner  » de cet homme de Nazareth. C’est en tant que ses témoins que nous venons nous mettre sous la croix…

Nous témoignons de la belle humanité que l’homme Jésus exprime : il est fidèle à l’homme, parce qu’il est fidèle à Dieu ; il est fidèle à Dieu tout en étant fidèle – proche- de l’homme. Cette foi qui lui a coûté cher. Comme à l’homme de douleur dont témoigne Esaïe au chapitre 53.

Le serviteur souffrant, en effet, avait tenu bon la barre, ne s’était pas laissé impressionner par les railleries de ceux qui cherchaient à le déstabiliser dans sa fidélité au Dieu unique, en cet environnement hostile de la déportation babylonienne.

L’homme de douleur d’Esaïe 53 (déporté à Babylone)

Quelques six siècles avant Jésus, sur les rives de Babylone, un homme reste debout. Debout au sens moral du terme. Il demeure intègre. Il résiste aux tentations de se rallier à la religion de ceux qui l’avaient déporté de Jérusalem avec d’autres compatriotes. Il confesse que son Dieu est un Dieu de liberté.

Nombreux auront été ceux qui, par lassitude, ou par intérêt, s’étaient laissé aller à la dérive quant à leur foi au Dieu unique auquel croyaient leurs pères.
Le témoin dont parle Esaïe résiste. Autour de lui, des gens prennent leur distance. D’autres compatissent, mais ne peuvent pas grand-chose – le rédacteur qui rapporte ce célèbre texte et se fait témoin de l’homme,  » l’homme de douleur « , le  » Serviteur souffrant « , en est, peut-être.

Très vite ce témoin sans nom – mais n’est-il n’est pas facile d’accepter la réalité des choses. Ni la solitude. L’homme souffre de sévices, qui l’ont peut-être mené jusqu’à la mort.
C’est ainsi qu’il devient témoin. Une lumière pour les autres. Un phare même.

Les « autres » comprennent qu’au fond, c’est eux tous qui auraient dû tenir bon !
Alors, n’est-il pas allé, lui, à la place des autres… ?
Par son témoignage, il a signifié croire à la présence de Dieu, même alors que tout portait à croire que ce Dieu l’avait abandonné.

Jésus, le messie souffrant.

Très vite, dans les premiers temps de l’église, on a eu recours à ce portrait du serviteur souffrant d’Esaïe 53 pour expliquer que Jésus a continué à tenir le cap, alors même qu’il sentait monter les difficultés face au projet messianique. A l’aide de cet archétype du serviteur souffrant, une partie du christianisme ancien, va interpréter la mort de Jésus.

Certes, Jésus est l’homme, justement l’homme, non pas un petit dieu à côté du grand, qui subit le procès et l’exécution.
Certes aussi, et je tiens à le souligner, il n’est pas – pour moi en tout cas – celui qui va vers la mort, consciemment, et dans la pure obéissance.

Il est bien plutôt ce témoin de Dieu qui, comme le serviteur souffrant, reste debout.
Jusqu’à endurer les plus cruelles souffrances.

Mais son projet n’était pas la croix. Son projet était un projet de vie pour son peuple ; un projet de rétablissement de ce peuple dans la dignité et dans la justice enseignée par Dieu lui-même.
Il s’agit d’un projet messianique et, donc un projet  » politique « . Ce rôle de messie qu’il s’apprête à endosser est bien une mission royale, donc humaine – pour laquelle certes, l’homme Jésus se sent appelé, investi, « oint » par Dieu (un « christ » est oint, au sens symbolique du terme, choisi, institué pour une mission précise)

Nous ne donnerons donc pas dans une belle théologie sacrificielle qui consisterait à transférer notre culpabilité sur une brebis humaine offerte en sacrifice. Nous n’encouragerons pas à nous débarrasser de cette culpabilité à l’aide de quelques broutilles de confession des péchés dites du bout des lèvres ou de façon purement liturgique.

Le sacrifice n’a-t-il pas pour rôle de délester la conscience humaine ? Et d’être à nouveau bien vu par Dieu !
L’être humain sait que sa vie comporte des ratés, que certains actes sont, en toute logique,  » punissables « . Le sentiment de culpabilité, souvent, le fige, l’empêche de développer un comportement positif. Pour se débarrasser de sa culpabilité, il cherche à la transférer. C’est le rôle du bouc émissaire que de devenir porteur de culpabilité. C’est ainsi que la religion chrétienne naissante interprète la mort de Jésus comme un sacrifice. L’homme Jésus devient l’agneau expiatoire – celui que l’on sacrifiait lors du repas pascal commémorant la sortie d’Egypte et célébrant la libération du peuple d’Israël.
Le bouc émissaire devient porteur du péché de ceux qui se sont sali les mains. Mais aussi de ceux qui ont simplement regardé, coupables de n’avoir rien fait. Voire de n’avoir rien pu faire. Et puis, progressivement, le bouc émissaire devient porteur d’autres péchés, on élargit la gamme, à toutes ces autres petites et grandes culpabilités que tout un chacun peut traîner avec lui !

Porter le regard au-delà de la mort

Dieu n’a pas voulu la mort de son serviteur !!
Esaïe rappelle clairement que le « serviteur » a affronté les difficultés. Nulle part il est dit qu’il est sacrifié par Dieu. La vérité n’est pas masquée, trafiquée. Le  » serviteur  » n’est pas sacrifié par Dieu, mais il est la victime des criminels.

Qu’en est-il de Jésus ?
Accueilli comme roi – il entre dans le rôle d’un personnage politique de premier rang.
Les annonces concernant la mort et la résurrection ne sont pas à prendre au pied de la lettre – il est à peu près sûr qu’il s’agit d’interpolations. Mais elles ont une fonction : celle d’interpréter la mort de Jésus (est-ce l’œuvre de la tradition populaire ou de  » scribes  » chrétiens ?) et d’encourager le lecteur ou l’auditeur à regarder au-delà de la mort.
En effet, elles annoncent la résurrection – donc le fait que le PROJET de DIEU CONTINUE, projet, non de mort, NON de sacrifice d’un fils, mais projet d’un royaume où la vie est possible, une vie digne. Le Christ mort et ressuscité est là pour aider à vivre…
L’homme Jésus ne nous invite pas à nous débarrasser de la culpabilité par un subterfuge qui consisterait à attribuer au Père la responsabilité du sacrifice du fils.
Et Dieu n’est pas ce Père jaloux d’un fils qui serait tenté de lui prendre sa place, il laisse, en bon père, le fils prendre toute la place qui lui revient.

Quel rapport avec la politique…? Lorsque Jésus invite à le suivre, il invite à l’engagement. Il s’agit d’abord de lui apporter un soutien concret. Il est avec les siens, dans la logique de la construction d’un  » royaume  » qui est censé rétablir la dignité humaine mise à mal.
A chacun d’interpréter l’invitation de Jésus dans le contexte d’aujourd’hui. Mais l’engagement est lié aux notions de justice, de compassion, on dirait aujourd’hui d’humanité, chères à Jésus. Un soutien politique apporté par un citoyen d’aujourd’hui à un représentant politique ne saurait donc jamais être inconditionnel !

Ceux que nous choisissons comme porteur d’une mission politique, nous leur devons fidélité, mais encore un regard critique.

Aujourd’hui donc, Vendredi-Saint, notre célébration de ce condamné à mort, Jésus, exécuté sur le Mont Golgotha près de Jérusalem, est un acte de foi. De cette foi qui n’a de réalité que parce qu’elle est vécue

La foi de Dieu en notre capacité d’agir

Le croyant (protestant que je suis – mais d’autres peuvent raisonner de façon semblable) reconnaît en ce Jésus un être humain, comme vous et moi.
Un homme qui a placé toute sa confiance en Dieu et qui a pris ses responsabilités.
Ceux que cela gênait n’ont pas hésité à l’éliminer en le mettant sur la croix.
La croix est alors le symbole de l’échec.
Un échec qui tient du fait que les hommes défendent égoïstement leurs acquis, avant de penser à un avenir collectif que l’on construirait ensemble.
Jésus avait pourtant formulé ce qu’on appelle aujourd’hui un projet de société – un « royaume », à l’époque !

Si la mort de Jésus sur la croix consacre l’échec, elle n’est déjà plus échec, dès lors que nous nous souvenons de cet homme de Dieu et que nous nous interrogeons sur sa motivation et sa force. Sa foi devient contagieuse pour nous dès lors que nous nous laissons mettre en route par lui.
Nous confessons que Dieu, malgré tous nos manquements, se fait tellement proche de nous dans cet homme sur la croix, que l’avenir reste ouvert : la résurrection, c’est-à-dire la vie, est à l’horizon, justement là où on ne l’attendait pas – où on ne l’attendait plus.
Le monde, bonne création de Dieu, ne s’arrête pas à Golgotha. Le projet d’avenir esquissé par Jésus continue, avec tous les croyants de la terre pour qui la croix est, non pas un alibi pour ne rien faire, mais le signe de la présence de Dieu qui nous aime et nous aide.

La foi, peut-être, sert l’intelligence quand la sagesse abandonne l’intelligence et que la perversion s’en sert pour mettre à mort.

Il reste donc une ouverture possible, grâce à la foi.
Non pas la foi qui se met au service de l’instinct de mort, mais celle qui ouvre le chemin à la vie.
Qui rouvre une brèche d’espérance dans tous les murs de la honte.

Ernest Winstein

 

La question d’un possible « tombeau » de Jésus (les découvertes de Talpiot)

A-t-on retrouvé le tombeau de Jésus ? (voir la synthèse présentée par N. Leroy-Mandart sur le blog http://unionprotlib.over-blog.com/article-7098951.html). La question suscite évidemment un intérêt passionné… Entre ceux qui rejettent d’emblée l’idée qu’un tel tombeau puisse exister et ceux qui en font une nouvelle certitude, l’espace du débat est possible. Il permet notamment de reprendre la question de la fin de la vie de Jésus et de son devenir au-delà de l’événement de la crucifixion.
Les documents de référence dont nous disposons habituellement, les écrits du Nouveau Testament, et qui sont d’une importance exceptionnelle, même si leur rédaction comporte nécessairement des réinterprétations postérieures aux événements, ne nous livrent pas quantité d’informations, mais quelques éléments qui permettent de mieux apprécier la question d’un tombeau de Jésus.

Le documentaire ne trouble pas l’approche biblique contemporaine

L’argumentation des réalisateurs du documentaire en faveur de l’existence d’un tombeau de Jésus prend appui sur la mention de l’évangile selon Matthieu d’une rumeur qu’avaient fait circuler les chefs religieux de Jérusalem pour expliquer que le tombeau fut vide : les disciples de Jésus auraient enlevé le corps. Et si les proches de Jésus lui avaient donné une sépulture provisoire pour le ramener, un an plus tard, dans l’ossuaire découvert à Talbiot, demandent les réalisateurs ? D’un point de vue historico-critique, cet échafaudage est extrêmement hasardeux… et exclut d’entrée de jeu l’hypothèse d’une vie de Jésus au-delà de la crucifixion sur le mont Golgotha qui est pourtant à la base de tout le christianisme.
La documentation sur le tombeau de Talbiot ici rassemblée mérite pourtant attention. Remarquons qu’elle ne met pas en question l’enseignement  » de l’Eglise « , dans la mesure où celle-ci prend en compte les recherches théologiques qui nous permettent de mieux comprendre les interprétations et représentations, fortement chargées de symbolisme, des écrits bibliques.

Les formulations « dogmatiques » et l’histoire

Opérons un examen à reculons (dans le sens inverse de la chronologie) des indications disponibles, en partant de la question de l’  » ascension  » pour remonter à la condamnation et à la crucifixion. Et confronter les résultats de cet examen aux données de l’archéologie.

L’ascension (Actes 1) est depuis longtemps comprise comme un message adressé aux disciples ou, mieux, à certaines églises du monde de langue grecque de la fin du premier siècle, invitant à ne pas désespérer de l’absence de la personne du Christ et répondre aux questions que beaucoup ont dû se poser : Qu’est donc devenu Jésus ? Peut-on, près d’un siècle après sa naissance, envisager qu’il soit ressuscité et encore présent à la manière humaine ? La réponse du texte écrit par le médecin et évangéliste Luc dans Actes 1 est de dire :  » Ne regardez pas le ciel, allez vous mettre vous-mêmes au travail « . On est alors dans les années 90 (1er siècle).

Et c’est encore de cette manière, à défaut de pouvoir rassembler de véritables  » preuves « , que la résurrection est à comprendre : La résurrection s’accomplit, parce que les disciples continuent l’œuvre du maître

Sur le plan des faits liés à la résurrection, notons les plus importants :
1. La constatation du tombeau vide (Marc 16).
2. L’annonce, dans le  » kérygme  » (le noyau de la proclamation, du message au sujet de Jésus) de l’église primitive, de la mort et de la résurrection de Jésus.
3. L’insistance des  » récits  » d’apparition sur une présence humaine de Jésus. Cette résurrection de Jésus n’est pas à confondre avec une résurrection future qu’envisage Jésus (nous serons comme les anges de Dieu) ou Paul (notre corps sera  » spirituel « ), mais d’une présence corporelle.
La théorie de l’enlèvement du corps de Jésus par les disciples, évoquée par l’évangile selon Matthieu comme étant une contre-propagande inventée par les grands-prêtres (Matth 28 v. 11 à 15), prise en compte par le documentaire sur les tombes de Talbiot comme un fait historique, appelle les remarques suivantes :
– la constatation du tombeau vide a fait, en son temps, et pendant longtemps, l’objet de vifs débats.
– l’interprétation de l’événement par les responsables juifs consiste à dire que Jésus était mort;
– il n’y a aucune preuve de cette mort, alors que les fidèles de Jésus annoncent qu’il est vivant.

Le documentaire présuppose qu’il était mort. Et l’est resté. C’est évidemment aller vite en besogne : l’on ne peut régler la question de la résurrection (ou de la non-mort de Jésus) en la niant, sur la base de l’affirmation attribuée aux chefs juifs comme si elle tenait lieu d’argument historique.

Tombeau de Jésus ?

Le tombeau de Talbiot rappelle les noms de personnes proches de Jésus. C’est probablement le seul argument qui milite vraiment en faveur d’un tombeau de Jésus.
Mais comment et pourquoi seraient-ils ainsi réunis ?

Rappelons que la tombe fournie par Joseph d’Arimathée était effectivement à Jérusalem. Il s’agit d’un tombeau digne d’une notabilité jérusalémite. Cette information livrée par les évangiles souligne l’importance que revêt le projet de Jésus aux yeux de personnalités influentes de Jérusalem (constatation que nous avons développée dans notre contribution sur le  » projet politique de Jésus « , voir les  » Annales  » n° 4 de l’Union Protestante Libérale).
L’importance de Jésus, en tant qu’homme public, accueilli à Jérusalem comme messie-roi, puis condamné comme tel, et d’autre part, le fait que Jacques, le frère de Jésus, ait pris la direction de la communauté (juive) des fidèles de Jésus après la dislocation du groupe dirigeant des  » douze « , puis des  » trois  » (Pierre, Jacques le disciple, et Jean), soulignent le caractère dynastique du rôle de Jésus, de sa personne et de sa famille.

Est-ce pour cette raison que les dépouilles mortelles de personnes proches de Jésus auraient été réunies ? On peut au moins poser la question.

La proximité de Marie-Madeleine avec Jésus est soulignée par tous les évangiles (voir notre texte sur Marie-Madeleine et le Da Vinci Code ). Il ne serait pas étonnant que Marie, la mère de Jésus, fût restée à Jérusalem. Mais jusqu’à quand ? Au moins jusqu’à l’exécution de son autre fils, Jacques, peut-on supposer.
Jacques serait justement le chaînon manquant dans cet ensemble. Or, il est le seul membre de la famille dont on peut penser avec quelque certitude qu’il fut enterré à Jérusalem.

De ces constatations et remarques découlent des questions :

Jésus était-il vraiment mort sur la croix ?

La question a été posée et continue de l’être. Le récit de la passion ne manque pas de souligner que la mort de Jésus est intervenue rapidement, au point que Pilate même s’étonne qu’il soit déjà mort, au moment où Joseph d’Arimathée demande l’autorisation d’ensevelir. La question  » était-il vraiment mort ?  » se pose avec d’autant plus d’insistance que le tombeau, à la première visite effectuée par des témoins innocents, est vide. A supposer qu’il fut effectivement mort, quel eût été l’intérêt d’enlever le corps de Jésus ? En toute logique, affirmer qu’il est vivant, consiste à affirmer qu’il n’était pas mort !

Qu’est devenu l’homme Jésus, corporellement « ressuscité » ?

Si Jésus, le « ressuscité », connaît une véritable vie terrestre (et dans l’hypothèse contraire, il faudrait imaginer une sorte de fantôme circulant à travers les airs… !) après les événements difficiles, il n’a pas pu rester à Jérusalem pour des raisons évidentes de sécurité. D’après le témoignage de Paul (Saul de Tarse) on le retrouve sur le chemin de Damas. A-t-il été plus loin vers l’Est… – à Srinagard ?
Et s’il est mort ici ou ailleurs, hors de la Palestine, aurait-on rapatrié les ossements à Jérusalem ? Pour les rassembler à d’autres proches, morts où et quand ? Il sera pratiquement impossible de répondre avec quelque certitude.
On ne peut manquer d’évoquer un événement d’une importance capitale pour le peuple juif et les chrétiens de Palestine, la  » guerre juive  » (années 67 à 70) qui aboutit à la destruction de Jérusalem et du temple, aux massacres, à la dislocation ou l’exode de l’église judéo-chrétienne de Jérusalem. Il est bien possible que Jésus, toujours dans l’hypothèse d’une résurrection corporelle, n’était plus  » en vie  » à ce moment-là. Au-delà de cette guerre, restait-il à Jérusalem suffisamment de proches de Jésus pour rassembler ou rapatrier éventuellement les ossements de la famille ?

Quelques failles dans l’argumentation des réalisateurs du documentaire :

Le documentaire avance quelques arguments faciles qui enlèvent au sérieux que l’enquête présente par ailleurs. Citons notamment :
– La référence à la généalogie de Jésus d’après Luc, qui serait censé être celle de Marie, est purement fantaisiste.
– Si Jésus a pu avoir un ou des enfants, – avec Marie-Madeleine, pourquoi pas ? – pourquoi y aurait-il dans le tombeau les restes d’un enfant ? Dans quelles circonstances serait-il mort ?

Plus de clarté et un peu plus de courage

Enfin, nous sommes en droit d’attendre un peu plus de clarté sur l’ensemble de ce dossier que les réalisateurs ont le mérite d’avoir mis à la disposition du public. Ceux qui, pour des raisons parfois opposées, ont eu intérêt à étouffer la découverte, ont de leur côté à répondre à certaines questions :
– Pourquoi a-t-il fallu tant d’années et l’opiniâtreté de reporters pour faire sortir de l’ombre des pièces qui méritent tout de même attention ?
– A-t-on pris suffisamment de mesures pour que d’autres investigations scientifiques soient faites ?
D’une manière plus générale, nous constatons que le libre débat qui pourrait faire évoluer des positionnements dogmatiques gêne les institutions qui ont véhiculé leurs positions comme si elles étaient des vérités immuables. Au nom de la vérité, qu’ils aient un peu plus de courage !
Il nous faudra sans doute un temps d’attente pour en savoir plus sur les ossuaires de Talbiot…

L’humanité de Jésus et l’exemple de sa vie

Nous affirmons, quant à nous, la pleine humanité de Jésus et nous nous imprégnons de son exemple.
Des dogmes tomberaient-ils ? Il nous reste l’exemple de la foi de Jésus. Il nous reste son enseignement et l’exemple de son engagement :
Nous sommes invités à croire en un Dieu présent, source de notre force et de notre intelligence qui nous rendent capables de construire un vivre-ensemble où s’expriment à la fois la justice (sur le plan du grand maillage interhumain, relationnel, y compris sur le plan de ce que l’on appelle aujourd’hui l’organisation économique), mais aussi l’amour-charité qui regarde avec compassion l’humanité là où elle faillit ou souffre (ce que la justice a de la peine à faire à elle seule), et agit pour que cette humanité-là puisse être, elle aussi, une digne expression de la volonté créatrice de Dieu.
Considérons que dans cet ensemble, chacun est important, que cet ensemble n’existerait pas sans la richesse et la force de toutes les composantes particulières. Considérons que, sans les maillages de la société, de nos diverses communautés de vie et d’action, sans cette humanité qui se construit, le tout un chacun n’existerait pas.

Ernest Winstein.

 

Jésus et Marie-Madeleine (ou… : Jésus avait-il un enfant ?)

A propos du… Da Vinci Code

Le roman de Dan Brown, hormis quelques contrevérités historiques ou géographiques, ne ferait pas scandale s’il ne posait la question  » Jésus a-il eu un enfant avec Marie-Madeleine ? »

Qu’en dire ? Rien n’exclut, évidemment, que Jésus ait eu femme et… enfant ! Sur la question d’une éventuelle descendance de Jésus, nous n’avons aucun renseignement sérieux. En admettant qu’il en ait eu, pourquoi n’y a-t-il aucune mention dans les évangiles qui sont les documents les plus sérieux dont nous disposons? Certes, on pourrait mettre en avant le fait que la famille de Jésus était sous haute surveillance, et qu’il valait mieux qu’une descendance éventuelle fût cachée.

Marie-Madeleine (ou Marie de Magdala), elle, apparaît bien dans les évangiles ! Et plutôt en bonne place par rapport à Jésus. Elle est originaire du nord de la Palestine, précisément de Magdala, près de la Mer de Galilée. Il est faux de l’identifier à la femme riche qui oint la tête de Jésus d’un parfum précieux (Marc 14 v. 3) et qui semble être judéenne. Il est extrêmement hasardeux de la confondre avec la femme  » pécheresse  » de Luc (7 v. 36-38).
Marie de Magdala apparaît dans les récits des quatre évangiles comme témoin de la crucifixion – se tenant à distance de la croix chez Marc, au pied de la croix d’après Jean. Mais elle est aussi le premier des témoins du tombeau vide. Elle est la première des femmes nommées par la tradition  » synoptique  » (elles sont trois d’après le texte de Marc 16, deux en Matthieu 28 et deux en Luc 24). L’évangile selon Jean fait une belle place à Marie : Elle est dans l’intimité de Jésus  » ressuscité  » qu’elle confond d’abord avec le jardinier… (Jean 20 v. 15-16), puis l’appelle  » rabbouni  » ( » mon maître « ).
Il est donc évident qu’il y avait un lien privilégié entre Jésus et Marie. Pour le reste, la discrétion est assurée par les évangiles, elle n’apparaît qu’une fois en Luc 8,2 où il est évoqué que Jésus aurait fait sortir d’elle  » sept démons « … !

Rappelons que la question de la divinité de Jésus ne s’est pas du tout posée dans les premiers temps !
Jésus a donc pu mener une vie de couple quasi  » normale « . Tant mieux donc, si Dan Brown nous invite à considérer Jésus dans sa pleine humanité ! Il n’est évidemment pas nécessaire de tenir les produits de l’imagination du romancier pour des faits historiques…

Ernest Winstein

Note : Dans Jean 20,1-18 le rédacteur combine deux traditions, celle qui met en avant Marie et celle qui met scène  » Pierre et l’autre disciple  » L’expression spontanée de Marie-Madeleine au moment où elle reconnaît Jésus ( » Rabbouni », mon maître) montre que l’on dispose là d’un bout de tradition ancienne, au milieu de l’ensemble composite du texte johannique sur le tombeau vide.

 

Les ministères de l’église dans le Nouveau Testament

Par Ernest Winstein

Terminologie.
Lorsqu’on utilise le mot ministère, on parle des fonctions de responsabilité dans la conduite de la vie des communautés judéo-chrétiennes des premiers temps de l’Eglise (ou simplement « chrétiennes », vers la fin du 1er siècle).

Ministère.
Définition : Du latin ministerium, le terme désigne le service (comme en allemand le mot Amt).
A partir de là, l’utilisation contemporaine du mot ministère appliqué à la fonction pastorale pose la question de savoir au service de qui se trouve le pasteur.

Les ministères dont l’église primitive a besoin

Dans les tout premiers temps, les chrétiens sont intégrés au judaïsme et participent à sa vie cultuelle.
Il est pourtant impératif pour les « adeptes » de Jésus de faire connaître (proclamer) :
– qui est Jésus ? (Prophète de l’ouverture du royaume nouveau, Christ (roi), serviteur souffrant,…)
– son enseignement ( » apprenez-leur à garder ce que je vous ai prescrit « , Matthieu 28).

Si la proclamation au sujet de Jésus n’a pu être réglementée, elle était essentiellement question de foi (et donc de compréhension quant au rôle de Jésus). De là un fonctionnement plutôt anarchique des acteurs de cette proclamation que l’Eglise se mettra rapidement à canaliser (structuration des fonctions).
L’enseignement requiert des témoins sûrs. On souligne très vite l’importance de la tradition apostolique.

Au départ les chrétiens se comprennent comme le peuple d’un royaume dont l’avènement est imminent : L’église – ekklêsia – est la communauté des  » appelés, des  » saints « , des  » élus  » . « Adhérer » au Christ consiste à reconnaître que Dieu a choisi un peuple : l’élection constitue l’Eglise.

L’Eglise est d’abord un genre de « substitut » du royaume qui n’a pu être réalisé dans l’immédiat par le messie Jésus. Elle est la première manifestation du royaume  » eschatologique « , projeté dans le futur.

Les ministères dans leur diversité

Les « douze » n’ont pas une fonction juridique, mais ils représentent l’Eglise en tant que vrai peuple des 12 tribus. (Mt 19,28). On ne sait pratiquement rien de leurs activités.
Lorsque Paul évoque les 3 « colonnes » de Jérusalem (Pierre, Jean et Jacques) dans Galates 2 (en parlant du Concile de Jérusalem) le cercle des  » douze  » est déjà disloqué.
Le titre d’apôtres leur est conféré plus tard – au cours de la 3ème génération (H. von Campenhausen)

Les apôtres : Le mot grec apostolos, issu du vocabulaire marin, évoque une expédition menée par une flotte. Il est utilisé dans le sens juif d’envoyé (shaliah). L’apôtre est en quelque sorte un fondé de pouvoir.
D’où les apôtres tiennent-ils leur autorité ? Du fait d’avoir été chargés de mission par le Christ « élevé ». Il n’existe pas d’autre « installation » dans cette fonction (Conzelmann, Grundriss, p. 63 : « Die Bindung an ihren Auftrag verknüpft ihre Autorität mit dem Kerygma »).
Plus tard, les apôtres seront considérés comme les garants de l’enseignement.

Mais la diversification se sera faite entre temps :

Les anciens sont cités dans Actes 15 et 16 avec les apôtres (mais le rapprochement est le fait d’un travail rédactionnel postérieur à la situation évoquée). Ils ont la charge de la proclamation (2è épître Clément 17,35). Les 24 anciens de l’Apocalypse (4,4) rappellent les 24 catégories de prêtres du judaïsme.

Le prophète : « parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console » (1Cor. 14,1).

Les enseignants (cf. le terme juif de « rabbi » appliqué à Jésus par les disciples), voir e. a. Actes 13,1 ; 1 Cor. 12,28s,… Il s’agit moins d’un titre que d’une fonction.

Les évêques : Episcopos, depuis Homère, signifie le surveillant, celui qui a le regard sur…, qui prend soin de…. ; les dieux sont considérés comme créateurs et surveillants.
Les anciens d’Ephèse sont aussi appelés évêques dans Actes 20,28 (discours de Paul aux anciens) : « Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau au sein duquel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour faire paître l’Eglise de Dieu… ». Paul cite les évêques avec les diacres, mais avant eux, dans Phil 1,1.

Les diacres, serviteurs à table (Actes 6), sont pourtant aussi  » proclamateurs « , il suffit de rappeler la figure d’Etienne. Paul (Colossiens 1,23, Ephésiens 3,7) les appelle d’ailleurs « diacres de l’Evangile ».

Les ministères d’après Paul : Le seul verset 28 de 1 Cor. 12 en fournit toute une liste : « Dieu a établi dans l’église premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs (enseignants), ensuite, il y a des miracles, dons de guérir, secourir, gouverner, parler en langues ».

Le ministère de Paul, vu par lui-même, a pour objet d’apporter une parole de révélation, de connaissance, de prophétie, d’enseignement (1 Cor. 14,6). Paul et Timothée sont aussi « douloi », serviteurs, esclaves de Jésus-Christ (Phillipiens 1,1).

Conclusion

Il n’y a pas de hiérarchie qui institue des ministères, mais un peuple élu qui s’organise et reconnaît, voire se donne, des ministères. Cette reconnaissance donne l’autorité nécessaire à ceux qui en sont chargés.

Le prêtre juif semble disparaître au profit de l’ancien. Les apôtres disparaissent très vite au profit des anciens, des diacres, des évêques. Les  » anciens  » font fonction de prédicateurs et sans doute d’administrateurs. Les prophètes constituent la seule catégorie juive conservée par les églises.

Le ministère le plus proche de celui du pasteur en paroisse d’aujourd’hui semble être celui d’ « ancien  » dans le sens d’évêque (Actes 20,28 : « faire paître le troupeau »).

D’après Paul le « gouvernement » vient en queue de liste des ministères qu’il connaît, juste avant le  » parler en langue ».

Nous constatons une extrême diversité des ministères, une certaine profusion même, leur adaptation en fonction de l’évolution, de la constitution en Eglise des adeptes du Christ, des contextes culturels, leur complémentarité. Voilà un bel encouragement à ne pas nous enfermer dans des catégories qui seraient immuables mais à faire preuve de souplesse et d’imagination !

Ernest Winstein
(mars 2006)

Eléments de bibliographie :

Hans Conzelmann, Grundriss der Théologie des Neuen Testaments, München, 1967. Traduction française : Théologie du Nouveau Testament, Paris et Genève, 1969.
H. Conzelmann et A. Lindemann, Guide pour l’étude du Nouveau Testament, trad. de l’allemand, Genève, 1999.
Etienne Trocmé, Quatre Evangiles, une seule foi, Paris, 2000.

 

Jésus, fils de Joseph et de Marie

par Ernest Winstein

“ Du temps de l’empereur César Auguste… ”, c’est ainsi que commence, dans « l’Evangile selon Luc », la présentation de l’événement qui est à l’origine de la fête de Noël.

Le “ temps de César Auguste ” était aussi le temps où, sur la rive gauche du Rhin vivaient peut-être encore des tribus celtiques, peut-être déjà des Germains venus de l’Est. Bien plus tard, on se mit à compter les années depuis le temps où, en Palestine, un certain Jésus, “ fils de Joseph ” et “ de Marie ”, vit le jour.

Ben Youssef

Le premier titre qui lui fût donné s’énonça certainement ainsi : “ Yeschouah ben Yousef ”, Jésus fils de Joseph. Dès lors qu’il venait à parcourir son pays, il devint Jésus “ de Nazareth ” pour ceux qui le rencontraient et ne connaissaient ni Joseph, ni Marie, mais la ville qui l’avait vu grandir. Tout naturellement, des habitants de Nazareth qui l’entendront lire et interpréter le prophète Esaïe s’étonneront  : “ N’est-ce pas là le fils de Joseph ? ”  (Luc 4,22) 1).

L’évangéliste Matthieu l’appelle “ le fils du charpentier ” (Matthieu 13, 55) 2). C’est Jean qui présente avec le plus de naturel Jésus comme “ fils de Joseph ” : Philippe, qui va annoncer à Nathanaël avoir trouvé celui dont parlent les écritures, s’exclame en disant qu’il s’agit de  “ Jésus de Nazareth, fils de Joseph ” (Jean 1,45). Jean fait encore dire aux Juifs qui murmurent au sujet de l’enseignement de Jésus portant précisément sur les rapports entre le Père et le Fils : “ Celui-ci n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, lui dont nous connaissons le père et la mère ? ”. L’évangéliste Jean ajoute cette mention pour marquer que Jésus, dans le rôle de “ Fils ” du “ Père ”, est bien né d’une filiation humaine.

Etait-il bien de Joseph… ?

Le doute nous vient du fait que les évangiles de Luc et de  Matthieu, écrits aux environs des années 85 à 90, nous parlent de la naissance de Jésus comme du résultat d’un engendrement direct de Jésus par Dieu – engendré par l’Esprit saint, c’est-à-dire Dieu (Matthieu, chapitre 1 et Luc chapitres 1 et 2).

Dans la secte juive des esséniens (les manuscrits de la Mer Morte en témoignent) se trouvait développée l’idée que le messie attendu pouvait n’avoir ni père, ni mère, – tel Melchisédek, le roi de Salem (Jérusalem) qui rencontra Abraham, (dans l’Ancien Testament  en Genèse 14, 12-20 et Psaume 110,4). Il suffisait pour les chrétiens de reprendre cette idée à leur compte –  à moins qu’elle ne fut apportée par des esséniens convertis à la foi au “ messie ” Jésus. L’épître aux Hébreux, qui date à peu près de la même époque que Matthieu et Luc, présente, en effet, une tradition très proche de celle de la naissance “ virginale ” : Jésus est appelé “ prêtre … à la manière de Melchisédek ” (Epître aux Hébreux 5,6 ; 5,10 ; 11,17), “qui n’a ni père, ni mère ” 3).

Nous dirons donc, mais que chacun se sente libre de ses convictions : Jésus est né de Marie et, certainement de Joseph, ses frères et sœurs étaient connus dans l’entourage de Jésus – l’un d’eux, Jacques, deviendra chef de l’église de Jérusalem.

L’évangile de l’enfance : une interprétation de l’événement Jésus de Nazareth

Les premiers chrétiens ne s’étaient guère intéressés à la naissance de Jésus : L’évangile le plus ancien, Marc, (on situe sa rédaction entre 55 et 70) n’en parle pas et commence par évoquer Jean-Baptiste pour présenter ensuite le récit du baptême de Jésus (adulte) par Jean et l’appel des premiers disciples.

Les textes sur la naissance virginale, nettement plus tardifs, interprètent l’événement Jésus de Nazareth. En somme, ils nous apportent une confession de foi des chrétiens (de certains chrétiens, du moins) des années 80-90, disant que la naissance de Jésus fait partie d’une sorte de plan de Dieu. Certes, dès que les chrétiens avancent et multiplient ce genre d’interprétation, les contradictions s’accumulent : Si ce fut le plan de Dieu de sauver ou de rétablir Israël dans son intégrité de peuple élu et libre, il faut bien constater que le résultat en est un échec, à moins de renvoyer la réalisation de ce plan à “ plus tard ”, – un report qui dure depuis deux mille ans ! Par contre, le message des textes demeure : Voyez comme Dieu vous est proche !

La datation de la naissance de Jésus

Le messie devait bien, pour certains juifs, naître à Bethléhem. On sait aussi aujourd’hui que l’événement de la naissance de Jésus se situe quelques 4 à 6 ans avant l’année fixée comme étant la “ première ” (d’après les recherches sérieuses faites en la matière). L’incertitude est encore plus grande quant au jour de l’année et l’on sait que les églises orientales ont gardé l’épiphanie comme jour anniversaire. Le rôle de la lumière renaissante dans les fêtes pré-chrétiennes ainsi remplacées par Noël est évident dans le choix porté sur le 25 décembre.

Mais si le doute est justifié à propos de la date, n’est-ce pas à l’avantage de l’importance de Jésus pour nous ? Qu’il est bon de pouvoir penser que chaque jour de l’année peut être celui de la naissance de Jésus, si nous voyons en lui ce témoin privilégié parmi les hommes porteurs de la présence de Dieu !

Jésus est-il né à Bethléhem ?

Quant au lieu, il paraissait simplement logique, vers la fin du 1er siècle, que le messie soit à l’image du roi David, originaire de Bethléhem. Quoi de plus tentant donc de le faire naître à Bethléhem ! Rappelons que  Luc rapporte un déplacement de Joseph et de Marie de Nazareth vers Bethléhem. Dans l’évangile selon Matthieu, qui est légèrement postérieur à Luc, l’itinéraire est exactement inverse ! Matthieu suppose connue l’information au sujet de la naissance de Jésus à Bethléhem et, après avoir montré que les mages rendent hommage au vrai roi à Bethléhem, évoque une fuite en Egypte, pour  nous dire qu’après ces péripéties Joseph et sa famille viennent s’installer à Nazareth en Galilée (Matthieu chap. 2).

Mais, en nous basant sur les données de l’évangile le plus ancien (Marc), nous constatons que la “ patrie ” de Jésus est  Nazareth et la Galilée. Si l’idée d’une naissance à Bethléhem avait été présente dès le début dans la tradition au sujet de Jésus on en trouverait mention dans les textes les plus anciens. Et alors, Jésus aurait pu être appelé “ de Bethléhem ” plutôt que “ de Nazareth. 4) Si, donc, une naissance à Bethléhem paraît tenir de la légende venant au secours de la démonstration du caractère royal de Jésus, la question des antécédents davidiques de Jésus peut être examinée séparément. La fiabilité des arbres généalogiques de Matthieu chap. 1 et de Luc 2 n’est pas très grande. Mais l’attribution à Jésus d’un rôle messianique n’est pas une invention postérieure. Jésus a bien été considéré comme messie (christ), c’est justement le motif de la condamnation que le procureur romain Pilate fait inscrire sur la croix. Certes, lorsque nous passons du témoignage de Marc à celui de Matthieu, nous constatons que la tradition au sujet de Jésus évolue dans le sens d’un renforcement du caractère royal, “ davidique ”, de sa personne.  On peut se demander si  la famille, et non seulement Jésus,  n’avait pas quelque prétention au “trône”… ? Le fait que Jacques, frère de Jésus, ait pris  la tête de l’église de Jérusalem, a depuis longtemps conduit les spécialistes des Evangiles à considérer la famille de Jésus comme influente et parler d’un “ christianisme dynastique ” 4). Jésus peut donc bien être un descendant de David, à condition que Joseph soit le père – sinon il y aurait rupture de la chaîne royale !

Mais il est surtout intéressant de constater qu’une des branches du christianisme ancien a fortement souligné le caractère messianique, royal de Jésus – ce qui explique la vigueur d’une foi en un retour du Christ. Une autre branche, représentée par l’évangile selon Jean, a développé des “ confessions de foi ” à charge plus symbolique : Jean parle de “ lumière du monde ”, de “ bon berger ”, de “ chemin ”, et l’image d’un Jésus grand-prêtre gagne sur celle d’un christ-roi. Et le Christ “élevé” revient sous forme de “consolateur” (encore appelé « paraclet »).

Déjà, à la fin du 1er siècle, la foi est très différenciée suivant l’église dans laquelle la tradition au sujet de Jésus a évolué.

Conclusion : un Jésus plus humain, donc plus proche

Ceux qui cherchent des vérités historiques absolument sûres risquent d’être déçus. Mais les textes constituant l’ “ évangile de l’enfance ”  nous parleront si nous les considérons pour ce qu’ils sont : des confessions de foi de la fin du 1er siècle. Ils vont alors nous inviter à développer notre propre confession de foi.

Nous fêtons donc un roi sans couronne et sans état civil précis ? N’en est-il pas mieux ainsi ? Pour qui ne veut pas retomber dans le polythéisme, le Seigneur, l’unique, reste Dieu. Et Jésus, reprenant sa place parmi les humains, nous devient d’autant plus proche : Ami ? Frère ? Maître ? Exemple de vie ? L’important sera de trouver en lui, et par lui, ce qui nous aide à vivre.

Ernest Winstein

Notes :

1) Luc garde probablement la forme primitive de ce verset que Marc présente ainsi, supprimant Joseph : “ N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? ” (Marc 6,3).

2) Matthieu (chap.13 v. 55) ne nomme pas Joseph dans ce passage, et suit donc Marc, mais transforme le nom de Josès, le frère de Jésus, en Joseph.

3) Tout le chapitre 7 de l’épître aux Hébreux cherche à démontrer que Jésus est un “ autre prêtre, dans la ligne de Melchisédek “ (7,11) qui “ n’accède pas à la prêtrise en vertu d’une loi de filiation humaine ” (7,16). Melchisédek est considéré comme “ prêtre pour l’éternité ”, et n’ayant “ ni père, ni mère ” et se trouve ainsi “ assimilé au fils de Dieu ” (7,3 – à rapprocher de l’annonce “ Il sera appelé fils du Très-Haut ” dans Luc 1,32). Un des manuscrits de la Mer Morte, l’Apocryphe de la Genèse, découvert dans la grotte 1, présente explicitement Melchisédek comme “ prêtre du Très-Haut ”.  Remarquons que Marie n’est pas évoquée dans la lettre aux  Hébreux.

4) Voir, e. a., Maurice Goguel, La naissance du christianisme, Paris, 1955, pp. 129ss.

D’après un article publié dans « L’Ami – Der Gottesfreund » n° 272 décembre 2001 pp. 4-5

Jésus, le messie, fondateur, malgré lui, d’une nouvelle religion

Ernest Winstein

Il ne s’était pas levé, tout d’abord, pour « sauver » la terre entière…
Jésus, d’après l’évangéliste Marc (1), est d’abord un « prophète ». Il est convaincu que Dieu n’a pas abandonné son peuple, malgré les siècles difficiles qui le séparent du temps glorieux de la royauté de David et Salomon. Dans le sillage de Jean, le baptiste, qui appelle ses contemporains à  » revenir  » (c’est le sens que nous donnons au mot conversion) vers Dieu, Jésus les invite à se préparer à accueillir le royaume de Dieu (Marc 1, 15 :  » …le royaume de Dieu est proche « ).

Ouvert à Dieu et aux hommes

Rapidement, dans son ouvrage, Marc en vient à indiquer que l’homme de Nazareth a une relation privilégiée avec Dieu : C’est pour lui que Dieu « ouvre » les cieux (2). Autre marque de la présence de Dieu, l’esprit, dont beaucoup pensaient que Dieu avait privé son peuple à cause de son infidélité, vient sur lui (3). Pour Marc, ce Jésus est bien le chargé de mission de Dieu, le prophète, même plus qu’un prophète : un messie (christ, en grec) (4). Il partage cette confession de foi avec la communauté des fidèles adeptes de Jésus.
Que dirait l’historien au sujet de cette personnalité palestinienne sortie de l’ordinaire en ces premiers temps de la présence romaine ? Jésus s’est fait remarquer très vite en Galilée, et certainement au-delà de cette province du nord de la Palestine. Il est l’enseignant d’une école – le maître (rabbi), autour duquel gravitent des élèves, que l’évangéliste, suivant en cela la tradition dans laquelle il puise ses informations, nomme justement  » disciples  » (5). Il est aussi guérisseur – le nombre important de récits qui évoquent cette activité en témoigne – parmi d’autres guérisseurs de l’époque, il est vrai.
Jésus donne, par son action et son enseignement, l’exemple d’une vie ouverte à la fois à Dieu et aux prochains :
– Ouverte au Dieu qui « vient » pour établir un royaume que l’on espère fait de justice , celle-là même que demande Dieu à ses fidèles du peuple élu ;
– Ouverte aux « prochains », particulièrement à ceux qui sont marginalisés et ceux qui se trouvent en situation difficile. Dans le royaume attendu chacun est censé pouvoir vivre une vie digne d’enfant de Dieu.

Jésus dans le rôle de « Christ »

C’est ainsi que Jésus suscite auprès de très nombreux contemporains un espoir de changement. Mais comment ce royaume peut-il advenir, alors que les Romains détiennent le pouvoir militaire et un pouvoir administratif et judiciaire partagé partiellement avec le grand-prêtre et le sanhédrin ? Saura-t-on jamais vraiment quelle fut l’idée de Jésus à ce sujet ?
Lorsqu’il entre à Jérusalem, il est sur le point d’endosser la fonction de messie ( » christ « ). Une foule l’acclame… Ce n’est pas un hasard : il est attendu. L’accueil est celle d’un roi. Jésus laisse faire. Les choses paraissent même très organisées. Visiblement, bien d’autres que les disciples sont au courant de son arrivée. Il y a là ceux qui avaient prévu de mettre à disposition l’ânon sur lequel Jésus va s’asseoir, marquant l’accomplissement de la prophétie annonçant des temps nouveaux et l’arrivée d’un messie. Il y a ceux qui ont préparé les branches de palmier, ceux qui sont venus chanter à la gloire du Dieu qui  » vient  » en l’homme messianique ainsi accueilli. Il y a ceux qui vont conduire les disciples vers la  » chambre haute  » où Jésus prendra la pâque avec ses disciples.
Jésus n’est pas, ici, considéré comme  » le fils unique  » de Dieu – certains textes le diront plus tard. Il est, certes, fils de Dieu dans le sens où sa mission exprime la volonté de Dieu. Mais tous ceux qui  » font la volonté de Dieu  » sont appelés frères par Jésus (Marc 3 v. 35), ils sont donc fils de Dieu ! La tradition reprend le titre de  » fils de l’Homme « , susceptible d’être attribué à un personnage choisi par Dieu pour une mission royale.

Comment une charge messianique peut-elle se concrétiser ?

Si Jésus est un messie-prêtre, il va entrer en concurrence avec le grand-prêtre de Jérusalem. S’il est un messie-roi, il se pose la question de la présence romaine : composer avec elle, ou la chasser. Les contacts de Jésus avec les  » autorités  » étaient beaucoup plus avancés que cela n’apparaît à première vue – à moins de penser que Jésus fut un naïf qui s’est jeté dans la gueule du loup ! Quelques indices nous indiquent que Jésus bénéficiait de soutiens au sanhédrin. Le récit du flacon de parfum (Marc 14), montre qu’une femme issue de milieux influents faisait partie d’un cercle proche. Certains disciples s’étaient déjà vus au « gouvernement » – l’un à droite, l’autre à gauche… . Visiblement, les disciples, ou d’autres gardes étaient armés (voir en Matthieu 26 v. 51-52 :  » un de ceux qui étaient avec Jésus  » coupe l’oreille du serviteur du grand-prêtre).

L’échec …provisoire

L’action de Jésus à Jérusalem devait-elle aboutir à un acte suffisamment fort pour convaincre les pouvoirs à envisager une nouvelle perspective  » politique  » ? Une acclamation du messie Jésus par la foule ? Une adhésion du sanhédrin, se soumettant au verdict populaire ? Une oreille attentive de la part du gouverneur romain – soucieux de ne pas verser le sang inutilement, peut-être le sien ? On ne le saura jamais de manière sûre. Car les événements ne vont pas suivre la logique prévue.
Les opposants, qui devaient être nombreux, trouvèrent une possibilité inespérée de mettre la main sur lui : la trahison de Judas. Le sanhédrin (cour de justice juive) avait-il finalement pris les devants en faisant arrêter Jésus ? C’est ce qu’affirme la tradition du  » récit de la passion « . Toujours est-il que Jésus est condamné par le pouvoir romain, pour un motif politique : celui d’avoir voulu être « Christ », un messie, donc un concurrent pour le ponce romain, mais aussi pour l’autorité religieuse juive, dont le pouvoir est certes limité. Jésus subit le supplice romain de la crucifixion.

La nouvelle voie

Après l’effondrement du projet, tout le monde n’a pas rendu les « armes ». Très vite, des disciples se regroupent et… continuent : il reviendrait, pensaient-ils – ou il est encore là (ressuscité)… Quelque temps plus tard, Jacques dit le Juste, dans le temple de Jérusalem, demande assidûment à Dieu de faire advenir son royaume. On sait que cette espérance est aussi partagée très vite par les juifs de la « diaspora » (les juifs vivant hors Palestine), dont certains reviennent à Jérusalem, – où il y avait des synagogue des juifs « grecs » (voir Actes 6 v. 9). Ce sont eux qui vont être les plus actifs pour porter le message d’espérance hors de la Palestine.
Très vite, des païens, prosélytes (candidats au judaïsme) d’abord, vont entrer dans le peuple de l’alliance.
Le royaume n’arrivant pas, le personnage de Jésus devient une figure de plus en plus symbolique – symbole de Dieu qui est venu, qui vient et qui viendra. Le Christ, qui était censé être le personnage royal pour un peuple bien précis, le peuple juif, devient progressivement une figure plus spirituelle (8) – le royaume sera même considéré par l’évangéliste Jean qui transforma ainsi l’enseignement de Jésus, comme n’étant « pas de ce monde » (Jean 18 v. 36)! Il deviendra une figure sacrificielle pour d’autres : il aurait été offert (mais, notons-le, ce serait Dieu qui se l’offrirait à lui-même !!) pour nos péchés. Puis, prend l’allure d’une figure quasi divine.

Le projet de Jésus pour son peuple devient un projet pour le monde

L’église va se considérer comme l’héritière du peuple d’Israël, lorsqu’aux alentours des années 85 à 90 les chrétiens seront rejetés par le pouvoir religieux pharisien qui avait succédé aux sadducéens après la « Guerre Juive » (9). Elle se considérera comme le peuple bénéficiaire du royaume qui viendrait – bientôt, ou un jour de la « fin des temps ».
Une nouvelle religion était née. Lui fallait-il un prince, fut-il absent corporellement, mais présent spirituellement ? Elle a Jésus, le Christ.
Jésus n’avait pas fondé de nouvelle religion. Mais les choses se sont passées ainsi : il est devenu malgré lui, et a posteriori, le fondateur du christianisme.
Quelle est alors la vocation de ce christianisme ? On a donné à cette question de multiples réponses. Nous pensons que la principale est d’appeler à un vivre-ensemble qui laisse ouvert l’avenir du monde, et permette à tous de vivre de manière digne – la plus digne possible ! Dans cette perspective, les chrétiens ne se contenteront pas d’être de  » doux rêveurs « , mais s’appliqueront à être  » sel de la terre  » et  » lumière du monde « , sans oublier que tout ce qui paraît acquis peut à tout moment être remis en question et que l’homme est bien capable de se barrer à lui-même la route des lendemains.

Ernest Winstein, mars 2005

Notes :

1. Marc nous a laissé l’évangile le plus ancien, dont une première édition remonterait aux années cinquante du premier siècle.
2.  » Il vit les cieux s’ouvrir  » (Marc 1 v. 10).
3. Littéralement : il voit l’esprit descendre sur lui – Dieu vient vers lui ou en lui (1 v. 10).
4. C’est au milieu de l’évangile, avec la confession de Pierre à Césarée, qu’apparaît le mot  » christ  » (Marc 8, 29).
5. En principe, un disciple a choisi d’écouter le maître. Jean semble garder trace de ce choix que font les disciples : certains quittent le maître Jean pour aller chez Jésus -voir Jean 1 v. 35ss), contrairement à Marc et ses parallèles où Jésus choisit les quatre premiers disciples.
6. Le  » magnificat « , chant messianique de louange mis dans la bouche de Marie, illustre bien cette attente – voir Luc 1,50 à 55.
7. les fils de Zébédée, Jacques et Jean, en Marc 10 v. 35-37.
8. cf. Jean 15 v. 26 : Il reviendra sous forme d’esprit :  » je vous enverrai le paraclet (le consolateur) que je vous enverrai de la part de Dieu, l’Esprit de vérité… « .
9. Après l’année 70 – la révolte des juifs s’étant soldée par une catastrophe, noyant la révolte dans le sang et laissant des ruines, dont le temple de Jérusalem.

D’après un article publié dans « L’Ami – Der Gottesfreund » n° 285 mars 2005 pp. 3-4

 

Jésus, l’homme, mon maître, mon frère…

Si je cherche à me souvenir qui, dans l’entourage qui fût le bain humain de ma jeunesse, m’a particulièrement marqué – jadis, et peut-être pour la vie -, je pense immanquablement à mon parrain.
Pourquoi donc mon parrain ? Peut-être parce qu’il savait entrer en relation avec moi, communiquer, et qu’il manifestait ainsi l’importance que j’avais à ses yeux…
Plus tard, j’ai su qu’il avait aussi ses faiblesses. Je n’ai pourtant pas cessé de l’admirer et, à mes yeux, sa dignité ne s’en trouva pas affectée. Si, par la suite, les occasions de rencontre ou de partage d’idées furent plutôt rares, mon parrain resta pour moi une sorte de référence.

Référence

Est-ce que Jésus nous sert de référence ? Je me pose la question, à moi, en premier. Je constate que, malgré la difficulté à cerner le personnage dans sa réalité historique, Jésus est devenu « mon maître » à penser – faut-il dire « mon Seigneur » ? Je n’ai cessé de découvrir, au fil de mes questionnements sur l’évangile, de mes études de théologie, de mon travail pastoral, la profondeur et l’humanité de sa personne !
J’ai découvert un homme animé d’un extraordinaire courage – absolument éloigné du personnage mou, sans volonté, sans personnalité que décrit « La dernière tentation du Christ », le film qui a fait tant de bruit pour rien en son temps. Sa foi extraordinaire n’ajouta qu’à sa force de caractère et le contact sans détours qu’il eut avec ses contemporains m’a toujours paru exemplaire.
Jésus a su réunir autour de lui une équipe d’hommes dévoués. Certes, il y avait parmi eux un futur traître, mais comment savoir ? 
Dévoués, ses disciples ? Oui, mais non dépendants, ni dépourvus de caractère. Hommes, le maître les regardait et les prenait tels qu’ils étaient, avec leur personnalité, leur force, leurs faiblesses. Ce regard les considérait ; ils prirent de l’importance et leur vie davantage de consistance. Il était le maître respecté, aimé donc, d’une certaine manière, parfois critiqué aussi… Ni pour eux, les disciples, ni pour moi, il n’était et n’est le seigneur despotique qui demanderait une soumission aveugle ; ni le gourou exigeant de ses adeptes une sorte de dévouement maladif.

Jésus m’a aidé à me situer face à Dieu et, dans ce face à face, à prendre mes responsabilités.
Aujourd’hui comme hier, il m’invite à croire davantage à la liberté offerte par Dieu qu’en des préceptes qui nous emprisonneraient. Lorsque ses proches nous rappellent son souci pour les pauvres – ce travail d’aide qu’on ne connaît qu’au hasard des faits rapportés par les évangiles – comment pourrais-je ne pas me sentir encouragé à collaborer à la construction d’une société plus conviviale et d’une justice meilleure… Pour lui un nouveau royaume était possible.

La foi en la vie

Voilà que cet homme extraordinaire aura fini en situation d’échec… – mais les fruits de ce qu’il avait semé restaient acquis pour la postérité ! Son extraordinaire force de conviction, sa foi en la vie – en Dieu ! – deviennent pour moi, pour nous exemplaires. Il nous invite à croire en ce que nous faisons. A croire, comme lui, au bonheur sans rêver, à une justice supérieure – sans illusion. A secourir celui dont la place et la dignité se trouvent menacés.
Admiratif, je me sens invité à me faire serviteur de son dessein royal. Tant qu’un rayon de lumière m’indique que je ne me suis pas trompé de chemin.

Ernest Winstein

(d’après un texte publié dans « L’Ami / Der Gottesfreund » n° 269 mai 2001)