Au-delà de Noël : vivre et faire vivre 

25 décembre 2023 Non

par Ernest Winstein

1. L’homme de foi se met à douter

En dépit de notre course aux lumières et autres plaisirs que l’humanité peut s’offrir en vertu du progrès, comment ignorer le chaos du monde actuel et les souffrances de ceux qui doutent de leur lendemain?
Dans l’église ancienne, celle de Matthieu, la question se posait après le désastre de la « Guerre juive » au premier siècle. Et l’évangéliste y répond en renvoyant à un homme qui avait la foi en un avenir ouvert pour son peuple et pourtant s’est se mis à douter. On peut le comprendre – il est en prison, sans raison pénale, et ne peut s’attendre qu’au pire. Il s’agit de Jean-Baptiste. Mais, consolation! – les temps messianiques sont arrivés, et c’est Jésus qui le dit (dans le texte de Matthieu, chap. 11) !

Consolation un peu facile…? En ce temps de Noël où la tradition nous associe à la lumière qui augmente et nous invite à la joie du partage, et que Noël nous suggère d’être ouvert à une présence, certes immatérielle, mais divine, nous sommes confrontés aux souffrances que l’humanité s’inflige comme une fatalité, et que certains, comble de la perversité, comprennent comme le gage du progrès.
Cette réalité peu glorieuse est déjà évoquée dans le texte de Matthieu : Jésus (ici l’évangéliste Matthieu), qui n’est pas naïf, sait que les souffrances ne disparaissent pas comme par miracle, certains contemporains se sont même emparés de l’idée du royaume pour assoir leur pouvoir.
Oui, l’histoire du christianisme, comme toute l’histoire dite générale, est entachée des conséquences de la soif du pouvoir. Etre comme Dieu était la tentation de nos ancêtres symboliques Adam et Eve. Comble de l’ironie, (ou encore de l’inconscience), ceux qui ont besoin d’utiliser la violence pour exister tuent froidement, méthodiquement. Aberrante réalité de la guerre, alors que rien ne justifie d’enlever des vies, par ailleurs innocentes.
Noël est là et nous aimerions nous soustraire au doute et faire la fête! Simplement, chaleureusement. En attendant mieux pour le monde… Mais les questions demeurent. Quelles réponses?
Suffit-il de dire que, le messie étant arrivé, toutes les difficultés sont aplanies, « croyez au seigneur Jésus et vous serez sauvés », chantez « halleluia », et tout est accompli?
Méfions-nous des réponses qui ne seraient qu’une manière de nous tromper nous-mêmes. Une façon de chasser le doute qui parfois nous envahit, comme ce fut le cas pour Jean-Baptiste qui fait demander à Jésus « Es-tu celui qui doit venir , ou devons-nous attendre un autre? » (cf. Matth. 11)

Or le doute nous permet d’avancer !
On pensera au disciple Thomas qui n’avait pas accepté béatement l’annonce de la résurrection, mais a éprouvé le besoin de « voir » pour croire. Ce doute qui nous oblige à nous frotter à la réalité des choses pour avancer. Notre doute qui, bien sûr, peut toucher notre foi en Dieu.

2. Humilité
Mais, soyons honnête :
Si nous ne voyons plus, aujourd’hui, le monde à la façon de jadis et si notre vision de Dieu et de sa place dans le monde ne s’expriment pas de la même façon qu’il y a deux milles ans, n’est-ce pas parce que les sciences nous rendent un colossal service en révélant… notre petitesse et nous invitent à une attitude éthique. Nous avons la chance de connaitre le monde sous ses aspects infiniment grands et infiniment petits. Les astrophysiciens vont jusqu’à démontrer que dans le devenir de l’univers le « temps » même n’existe plus – ce qui peut se confondre avec l’éternité! – (et ainsi l’idée même de résurrection ne peut être simplement résolue par une formule de quelques 700 ans : « je crois à la résurrection de la chair »). Autre hypothèse : le trou noir vers lequel retournerait notre monde garderait la mémoire du passé! Non, les sciences ne ferment pas l’horizon du croyant, au contraire. Elles nous rendent un fier service : la possibilité de comprendre notre « Dasein » (être-là) comme un quasi-miracle de l’univers, tellement fragile qu’il en devient merveilleux, et… précieux ! Ne pas le respecter serait une forme de suicide de l’humanité. (Hubert Reeves : « Si les paramètres de l’Univers avaient été à peine différents, la présence de l’homme aurait été très improbable voire impossible », article « L’univers a-t-il besoin de Dieu ? », dans « Ciel et Espace », 9 octobre 2006)

3. … et force
Les difficultés n’ont pas disparu du fait des temps messianiques. Jésus, avec les lunettes de l’évangéliste Matthieu, nous invite à ouvrir les yeux : « que voyez-vous ? » Nous sommes invités à « voir » pour comprendre. Comprendre et agir. C’est l’appel à la vie.
Ceux qui sont ainsi réceptifs, se savent à la fois humbles et forts.
« Humbles », comme les petits enfants qui reconnaissent la « Sagesse » selon Luc 7,35. Face, aussi, à l’immensité du cosmos, ajouterons-nous aujourd’hui.
Et « forts : Cette conscience de notre petitesse d’ « êtres de l’univers », nous ouvre aussi à la force qui est en nous – force de vie « je suis vie qui veut vivre » dira Albert Schweitzer.
La modestie et la spontanéité qui sont celles de l’enfant – pour reprendre l’image de l’enfant (que Jésus aime utiliser! – nous rendant apte à accueillir cette force (que j’appelle divine).
Réceptifs de la force qui est en chacun de nous qui sommes pris dans le mouvement de l’univers et avons part au fil de la vie, nous choisissons de vivre de cette énergie que j’aime à comprendre comme le terreau de notre existence. C’est ce choix qui concrétise notre comportement éthique et fait de nous des êtres responsables. C’est à travers cette foi vécue que s’exprime aussi notre réponse aux questionnements sur le présent et le futur.

4. Etre réceptifs (comme les petits enfants) et impliqués (comme Jésus, comme Schweitzer, …).
Même si nous n’avons pas toujours un moral d’acier ou une foi à renverser des montagnes, cette simplicité, cette humilité, cette conscience de notre petitesse, cette « réceptivité », nous permettent de comprendre que nous avons besoin les uns des autres pour vivre. Et que nous avons la force de le faire. Le commandement d’amour nous indique un chemin : le mouvement vers l’autre, nous fait exister en retour. L’impulsion que nous recevons de Jésus à travers les témoignages au sujet de son enseignement et de ses actes nous ouvre à une éthique de responsabilité : je choisis parce que je suis capable de comprendre. Je suis responsable de ce que je choisis.

Je regarde vers Albert Schweitzer qui a investi une incroyable énergie pour arriver à travailler pour les malades africains. En dépit des déboires qu’il a connus (il a été en camp français pour cause de nationalité allemande), la nécessité de reconstruire l’hôpital de Lambaréné, il a persévéré. Soutenu par tant et tant d’humains. Tant et tant de nos co-existants de l’espèce humaine l’ont aidé à réaliser une oeuvre titanesque. Mais toutes ses oeuvres, pourrions-nous dire, pour reprendre une formule prêtée à Jésus (Mt 11,19), ont révélé la Sagesse !

Schweitzer n’a cessé de réfléchir à la vie, à l’humanité, au bien et mal et nous laisse son message : respectez la vie, ne la détruisez pas. Donnez-lui la place qu’il lui faut pour vivre (« comme je suis vie qui veut vivre »). Et contribuez ainsi à la survie de l’espèce humaine.
L’« avent » est pour « avant » Noël, et pour « après » Noël!

Ernest Winstein Décembre 2023

Albert Schweitzer : « Je crois dans la mesure où j’agis… C’est l’action qui ouvre la voie de la connaissance et de la confiance ».

Hubert Reeves : « L’homme est fou. Il adore un Dieu invisible et détruit une nature visible, inconscient que la Nature qu’il détruit est le Dieu qu’il vénère. » https://www.hubertreeves.info/