La force d’ouverture à l’inconnu

7 décembre 2018 Non

 

Par Gilbert Greiner, Pasteur

Nous remercions vivement Gilbert Greiner, membre du Comité directeur de l’Union Protestante Libérale, de mettre à notre disposition et nous permettre de publier ses  » Eléments pour une intervention  » qui lui ont servi de base pour sa conférence donnée le 17 mai 2006 au Foyer Lecocq / Saint-Guillaume à Strasbourg dans le cadre du cycle de conférences  » Foi, culture et théologie « .

 

Introduction

 » L’Inconnu… est assis au pas de nos portes.
Et Il nous inquiète.
Ainsi, nous préférons nous réfugier dans le Connu.
L’Au-delà – du Connu – est source d’angoisse…
Jusqu’à nous en faire perdre souffle et raison !

Le Christ en parlant de F.O.I. vient à notre rencontre (à la rencontre des angoissés d’aujourd’hui).

En thérapeute, Il nous invite à l’Ouverture et à l’Inconnu.
Sa parole s’accompagne d’une promesse :
Sa Force permettra la  » Mise en route « .
Nous serons, tel Abraham Le Croyant, des  » en-routés… « .

Que dire ? Ne croit pas qui veut bien et seulement  » croire « .
Le  » Credo  » est une mise à l’eau, un baptême quotidien.
Une lutte contre l’Ange et l’Angoisse.

Faire partie de la Communauté du Christ, nous situe, à coup sûr Au-delà des sentiers battus…  »

 

Intervention en 7 points :

  1. L’au-delà de …
  2. Le connu ou les sentiers battus
  3. L’angoisse
  4. L’ère du repli communautaire
  5. La foi comme force d’ouverture à l’inconnu
  6. Le Christ s’est levé en premier…
  7. L’Esprit, force d’ouverture de l’Eglise

1. L’au-delà de …

Le Professeur Gabriel VAHANIAN écrivait dans son ouvrage remarquable de 1996, La foi, une fois pour toute : « La foi n’est pas affaire d’ascendance ou de descendance, mais de transcendance « . Autrement dit d’au-delà, d’au-delà de…!
Et il ajoute,  » C’est quand il est libre et sans précédent, libéré de sa propre religion que l’homme peut enfin croire en Dieu.

Par conséquent, ni Dieu, ni le Christ, ni l’Homme ne peuvent être figés ou cloués au passé et à ses croix ! Tous sont ailleurs, au-delà de…
En Christ, l’important, comme l’écrivait déjà l’évangéliste Jean, n’est pas ou plus de naître mais de re-naître (Jean 3,7). Cette dimension n’est de loin pas absente des écrits de l’ancienne Alliance. D’après Esaïe 6,13, YHWH projette de faire renaître une sainte postérité de son peuple.

Mais pour renaître, il nous faut savoir quitter nos vieilles outres personnelles (Luc 5, 37) de sorte que le vin de la vie ne se perde pas.
Les outres neuves nous attendent !
Et même, avec elles, le vin nouveau !
Car croire en Christ et avec lui nous met en face de la nouveauté et non pas des vieilleries du dé-passé.

En Christ, pas de  » copier – coller  » !
En Lui, nous ne saurions être des adorateurs de reliques qui elles appartiennent forcément au passé.
Or Celui qui est le Chemin (Jean 14,6) et le Pédagogue des Disciples d’Emmaüs d’aujourd’hui (Luc24, 1-35) nous invite à la Suivance, à l’Ouverture, à l’Horizon.

C’est parce – qu’elle se tourne vers son passé que la femme de Lot est transformée en colonne de sel (Genèse 19,26).
Si nous sommes stimulés à être  » Sel de la terre « , c’est – sans doute – pour nous attaquer à cette colonne, celle qui cristallise en elle toutes les tendances passéistes.

C’est parce – que demain est devant la porte qu’il nous faut nous y attaquer à deux mains et rouler ses pierres des tombeaux anciens !

Les anges d’aujourd’hui, c’est nous. 
Pareils aux juifs devant le tombeau de Lazare (Jean 11), en l’absence de créatures de lumière, c’est à nous de rouler les pierres et d’être porteurs de lumière.

Car contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de serviteurs inutiles (Luc 17,10). Nous ne le sommes que si nous nous contentons d’appliquer des lois de régimes anciens.

Le Christ souligne – pour nous – vous êtes des serviteurs inutiles si vous vous contentez de faire ce que d’autres (de par le passé) vous ont demandé de faire !
Envisager le Royaume de l’Espérance avec ses conséquences éthiques est bel et bien de notre ressort.

Nous n’avons pas à accepter les mises à l’écart ou exclusions de la sphère publique. Jésus est mort hors du Temple et à l’écart de Jérusalem.
La sphère sacrale ou religieuse n’est pas notre seul lieu !

Au nom du Christ, il nous faut aller  » au-delà de…  »

 

2. Le connu ou les sentiers battus

Le Connu, les sentiers battus le Chrétien et l’Eglise sont invités au nom de l’Espérance en Christ à les dépasser. Le Connu est de l’ordre du passé, du dépassé, du  » pas – assez « .

G. VAHANIAN écrit dans La foi, une fois pour toutes :
 » Jésus rompt avec une religion qui consiste à fixer la foi par des formules toutes faites et la réduire à des idées reçues… Il échappe à ceux qui cernent la foi et la bloque du fait de l’emprise que seul le passé peut exercer…
La religion que récuse Jésus est une religion qui explique le présent par le passé, l’espérance par la mémoire.
Par une histoire. Qui, comme toute histoire, s’écrit au passé.
Et rend l’homme comptable de son passé, bien plutôt que devant l’avenir.
Pour un homme comptable de son passé, les choix sont déjà faits…
Conversion à l’avenir, la foi est au contraire axée sur le jour du Seigneur, sur l’ultime, sur l’eschatique.  »

L’histoire du Peuple de l’ancienne Alliance est une histoire de routes, de sentiers, de passages.
D’Egypte à la destruction du Temple en passant par Babylone, le Peuple est en route…
Et de cet Ex-ode perpétuel, Moïse en est l’illustre figure du Passeur !
La Force l’habitant, il ouvre des passages là où il n’y avait que l’eau symbole de chaos et de mort.
Il ouvre à la nouveauté et à l’existence propre ce peuple de moins que rien !
Il le ressuscite du tombeau du Pharaon.
Il les libère des jardins de la mort du Despote.

Mais le peuple a peur ! Le tyran est toujours là.
L’Angoisse est toujours présente et elle tyrannise.
Elle empêche de vivre ceux qu’elle étouffe tels les grains semés en terre (Matthieu 13). Ils voudraient s’épanouir mais ne le peuvent étant encore sous son emprise.

 

3. L’angoisse

Jésus dans la barque (Marc 4,40) apostrophe sévèrement ses disciples en leur disant :
 » Pourquoi avez-vous si peur ?
Vous n’avez pas encore de foi ? « .

Disant cela, il oppose la foi à la peur et nous invite à plus qu’une réflexion à ce sujet.

Pour être proche du vécu de nos contemporains, pour répondre à leur demande réelle, les communautés se référant au Christ se doivent d’écouter et d’entendre l’Angoisse profonde qui gagne de plus en plus nos cités.

Et pour échapper à l’Angoisse et à l’étouffement lié à toute situation de réduction d’horizon et de perspective existentielle, il serait sans doute opportun d’apporter un élément de salut en transformant l’architecture de nos villes génitrice de dépendances et de dépressions, en proposant d’ouvrir des champs nouveaux, d’accorder des perspectives sociales, de sortir du goulot d’étranglement ceux qui s’y trouvent.

Faut-il le redire, Jésus veut accorder du Souffle à ceux qui étouffent !
L’Esprit – Saint (qui souffle où il veut) se veut un bol d’air pour ceux qui en ont raz – le – bol !

Le récit vétéro – testamentaire parlant de la Lutte de Jacob avec l’ange avant la traversée du Jourdain pour une terre nouvelle résume cette lutte avec les freins en nous.

La lutte avec l’angoisse s’avère rude.
Il est difficile de quitter, d’abandonner, de devenir.
Tout semble nous retenir dans ce passage vers l’au-delà de nos Jourdain.
S. KIERKEGAARD (voir Crainte et Tremblement) avait sans doute raison de voir dans l’angoisse le problème fondamental de l’existence humaine.

Les freins personnels sont nombreux.
E. DREWERMANN, dans La parole qui guérit (entre autres p. 309 -327), propose de guérir de la peur en redécouvrant le monde négligé du sentiment, des images, des symboles.

Le domaine de la sensibilité avec ce qui peut y surgir : angoisse, sentiment de détresse, désespoir doit, d’après lui, reprendre sa bonne place dans la pratique pastorale et ecclésiale.

Dieu dit-il veut, par l’intermédiaire d’attitudes humaines, ouvrir des chemins nous permettant d’atteindre notre plein épanouissement.

? Par rapport à la mort – et l’Inconnue absolue qu’elle représente – il faut sans doute entrer dans la démarche d’E. DREWERMANN lorsqu’il comprend Gethsemani (Marc 14,33) et le Golgotha comme les moments extrêmes de l’Angoisse.
Jésus malgré son angoisse poussée à son intensité maximale continue à croire en Dieu.

Ce faisant, il est source de salut pour nous et est mort en premier.
Il nous devance et nous réconforte quant cette fin ultime dont la perspective nous angoisse à mort.

 

4. L’ère du repli communautaire

A côté des freins personnels, les freins communautaires sont légions.
Tels les israélites sortant d’Egypte nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, d’avoir le réflexe communautaire et passéiste.

Les Hébreux veulent réduire leur monde au connu, au définissable, à la sécurité alimentaire.
Comme si la vie se limitait à la viande, au pain et à la buccalité.

Quant à cette sécurité ego – centrée, Jésus s’exclame cherchez en premier le Royaume et sa Justice.
Le Royaume à venir n’est jamais de l’ordre du passé personnel, il est de l’ordre du futur communautaire.

? Les pots de viandes d’Egypte d’aujourd’hui touchent à l’histoire (passée), à la tradition, à la nostalgie, au folklore.

Or l’idée des pots de viandes selon Exode 16 est rejetée par  » Celui qui a pour nom devenir  » (Exode 3,14).
YHWH-Adonaï ne voit pas d’un bon œil que le peuple des en – routés veuille faire  » marche arrière « .

S’il est un péché communautaire, il est là, dans cette tentative de refus de l’à – venir, de l’au – delà, de l’in – connu. 
Israël est en train de se tromper de Dieu et de culte.
Israël sacralise ou idéalise son passé au Royaume de  » Mizeraïm « .
Israël tente de vivre en vase clos.
Il préfère l’esclavage, l’amoindrissement, la négation de soi, à la liberté, la nouveauté, l’utopie !

? Israël, à force de tourner dans le désert de ces projections, de soi et d’ignorance de l’autre, finit par oublier la promesse d’une terre autre, d’une alter-territé.

 

5. La foi… force d’ouverture à l’inconnu

Il y a croire et croire !

L’ambiguité vient de ce que le verbe croire peut s’employer dans deux sens différents.

Soit dans un sens déclaratif :  » Je crois que… je tiens pour vrai une certaine déclaration…  »
(* le croyant est  » juge  » : il tient pour vraie ! ! ! une proposition et peut se tromper. Le croyant à partir de ce qu’il  » juge vrai  » adopte un comportement éthique. )

Soit dans un sens performatif :  » Je vous crois, je crois en vous, je crois en Dieu. « . Dans ce cas, la parole nous engage dans un lien de confiance à l’égard d’une autre personne.

On a là deux idées distinctes :
+ l’idée de croyance (opinion, idéologie, conviction…) et
+ l’idée de confiance qui s’oriente dans deux sens complémentaires :

* actif (avoir confiance) ou
* passif (être fiable)

L’Ouverture à l’Inconnu suppose le sens performatif du verbe  » croire « .
C’est parce – que je fais confiance à Celui qui est fiable que j’ose m’ouvrir à l’Inconnu !

Le croyant peut  » quitter « , comme Abraham son Père dans la foi, parce – que sa Confiance le libère de toutes les racines et de toutes les chaînes :
* du passé (pas – assez) et
* du présent (pesant).

D’Abraham à Talitha (la jeune fille), l’injonction à se lever nous concerne toutes et tous dans notre quotidien.
La foi qui n’invite (pas) à se lever est morte.

 

6. Le Christ s’est levé en premier

Le Christ a été levé dans les morts.
Il échappe au tombeau et au passé qu’il représente.
Le Christ ainsi échappe au conditionnel et au Connu.
Il n’est plus reconnu mais pris pour le Jardinier.
Il se fait l’Inconnu par excellence le Nouvel Adam en rupture avec le passé.

Celui qui échappe à toute tentative d’objetisation (religieuse ou autre), à toute dogmatisation passéiste.

Ainsi la foi en Christ  » ressuscité  » ne peut (bien évidemment) être que de l’ordre de l’événement pascal.
Nous ne saurions croire pour la forme, pour nos ancêtres dans la foi (chrétienne, voire protestante !)…

La F.O.I. fait de nous des  » êtres pascal « , des êtres échappant à leur passé, leur prison, leur propre objetisation.
Croire signifie devenir  » méconnaissable « , comme Jésus devient méconnaissable pour les gens de son village et de sa famille (Marc 3, 31-35).

 

7. L’Esprit : force d’ouverture de l’Eglise

Très tôt dans l’histoire de l’Eglise, à partir du IVe siècle, d’après P. MARAVAL, dans  » Lieux saints et pèlerinages d’Orient « , la vénération des reliques des saints des origines a pris place dans la démarche religieuse des croyants.

La tendance à l’inventaire et l’invention de lieux théophaniques ne fait que traduire (ou trahir) cette tendance à vouloir adorer son nombril ou ses racines.

L’angoisse prend alors place au sein de nos liturgies et de nos offices.
Comme si le Maître des vents et des tempêtes
(Marc 4, 35-41) nous y invitait.

Le tombeau de la tradition pascale est – bien au contraire – largement vide des éléments qui pourraient servir à rendre un culte à celui qui était…
Ouvert, il ouvre en direction de la Galilée et du monde ! 
C’est là-bas dans le monde qu’il vient à la rencontre des siens à travers la Force de son Esprit.

Et ce Souffle épris d’avenir redit à son Eglise en attente  » Effata  » ( » ouvre-toi ! « ), afin que jamais elle ne cesse de s’ouvrir à cette force qui la transcende de l’Orient à l’Occident et d’un pôle à l’autre.

Quant l’in-connu qui est devant elle, elle n’a rien à craindre !
Quel que soient les évolutions du monde, ses tempêtes et ses bourrasques, l’essentiel de son message demeurera et survivra à travers le triptyque paulinien
 » Foi – Amour – Espérance « .

Gilbert Greiner