La quintessence de l’enseignement de Jésus
Par Ernest Winstein
Je me limiterai à un certain nombre d’indications exégétiques pour tracer les grands traits de l’enseignement de Jésus, nous éviter d’utiliser les textes bibliques comme bon nous semble, nous aider à les comprendre dans leur contexte.
L’enseignement de Jésus est très largement celui d’un maître juif, un rabbin (Jésus est appelé rabbi par ses disciples – cette mention est très fréquente dans les évangiles). Une partie de cet enseignement nous est accessible à travers les paroles de Jésus rapportées par les évangiles, Marc, d’une part, l’évangile le plus proche du Jésus historique, repris par Matthieu et Luc et, d’autre part, les collections de paroles que nous trouvons dans ces deux derniers et provenant de la source dite Q (Quelle), une collection de paroles de Jésus. Leur compréhension est rendue difficile du fait qu’elles sont souvent sorties de leur contexte.
Quant à Jean, dont la rédaction finale est située au début du 2è s. dans un milieu chrétien gnostique qui ne se situe plus, ou pas, dans le judaïsme, une partie de l’enseignement présenté comme étant de Jésus est en réalité une sorte de prédication de la communauté johannique au sujet de Jésus, placée dans la bouche de Jésus.
Les paroles du rabbi Jésus, comme de tout rabbi, ont été mémorisées par les disciples qui les ont transmises très fidèlement. On peut donc penser que les paroles rapportées par Marc et la source Q sont donc très fidèles à l’enseignement du Jésus historique.
Les paroles rapportées ne sont pas la reproduction intégrale de l’enseignement de Jésus. Mais il s’agit là déjà d’un choix fait par l’évangéliste ou la tradition orale pour répondre notamment aux questions qu’ont posées les adeptes de Jésus, Juifs ou païens intéressés, deux ou trois dizaines d’années après le ministère public de Jésus. En ce qui concerne Marc, cela se passe dans un milieu juif de langue grecque géographiquement proche de la Palestine ou à la limite de la Palestine (Césarée ?). Le rédacteur a un regard relativement critique sur les disciples.
Les travaux effectués sur les évangiles montrent que l’enseignement de Jésus évolue en fonction des situations historiques, du contexte, des questions qui se sont posées aux communautés naissantes et à celles déjà bien installées. Exemple : Les critiques formulées par Jésus à l’encontre de divers groupes qui, d’après Luc, sont constitués de scribes, de docteurs, de pharisiens, sont toutes orientées sciemment contre les pharisiens par Matthieu (ou l’école de scribes chrétiens de l’église » matthéenne « ) et même renforcées par lui. Pourquoi ? Les pharisiens sont alors les maîtres spirituels juifs, accrédités par le pouvoir romain et opposés au développement du christianisme naissant – on est aux environs des années 85-90, une vingtaine d’années après la » guerre juive » des années 67-70, où le pouvoir des sadducéens a été laminé.
Certains diront qu’il est alors très difficile de savoir ce qui, de l’enseignement rapporté, est important. En nous aidant de quelques indications sommaires, mais précises, partagées et proposées par les spécialistes exégètes, on arrivera à mieux s’orienter.
a) Marc en milieu juif, de langue grecque, proche de la Palestine ou aux abords de la Palestine écrit, entre 45 et 70 pour des Juifs de langue grecque (largement représenté par la diaspora). Il est, du point de vue chronologique, l’évangéliste le plus proche du Jésus historique. Il répond à la question de l’importance de Jésus : Celui-ci est qualifié de maître, puis de Christ et les disciples sont invitées à le suivre. Marc invite donc à une foi active.
Il insiste sur la parole de Jésus qui invite à faire la volonté de Dieu (Marc 3,28 : » Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère « ) et à être la bonne terre qui accueille favorablement la parole de Dieu (c’est ce qu’exprime la parabole du semeur, en Marc 4). Jésus accorde aux commandements (décalogue) l’importance que leur attachaient ses contemporains (voir la question sur le plus grand commandement, Marc 12,28-34) mais critique les pharisiens qui mettent leurs traditions au-dessus des commandements. Jésus prend la liberté de souligner que de guérir quelqu’un même un jour de sabbat est plus important que de se laisser enfermer par les prescriptions des pharisiens (Marc 3,1-6). Remarquons qu’en Marc 10, 1-12 où Jésus se prononce contre la pratique de la lettre de répudiation, l’homme et la femme sont mis sur un pied d’égalité – une innovation, mais qui montre bien qu’il convient de comprendre la torah comme une aide à la vie (cet aspect se trouve encore renforcé dans les évangiles de Luc et de Matthieu). L’important est l’être humain (voir la fin du chap. 2 : » le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat « ). Constatons que les 10 commandements invitent essentiellement au respect envers Dieu et au respect envers les humains et leurs biens.
Ces traits se retrouvent chez Matthieu et chez Luc qui ont copié Marc et ajouté notamment les fameuses » paroles » de la source Q, en réorganisant au besoin le contenu des sources qu’ils utilisaient. On est alors dans les années 85-90 et probablement aucun des disciples de Jésus n’était plus de ce monde.
b) Luc, juif de langue grecque, est nettement porté à présenter Jésus avec son enseignement en référence à des questions concrètes :
– comment vivre l’amour du prochain au quotidien ? En étant être proche de celui qui est dans le besoin (voir la question de Jésus dans la parabole du bon samaritain : lequel était proche de l’homme blessé ?).
– organiser les liens sociaux en intégrant les pauvres dans l’église et la société.
La source Q reprend, entre autres, le sermon sur la montagne avec les béatitudes que l’on trouve de façon plus structurée chez Matthieu.
Luc écrit pour le judaïsme » chrétien » de la diaspora de langue grecque. Il vit en Asie Mineure ou en Grèce. L’église fait encore partie du judaïsme. Elle est même LE judaïsme de la nouvelle alliance.
c) Matthieu, aux environs de l’an 90, est témoin de la rupture entre les chefs du judaïsme et le christianisme naissant, tout en ayant le souci de ne pas perdre le contact avec les Juifs. Le Royaume, appelé Royaume des cieux, semble être attendu pour un futur difficile à dater et considéré de plus en plus dans une perspective universelle : Le mot d’ordre final invite à faire de tous les peuples des disciples.
Les responsables juifs qui refusent de considérer Jésus comme le messie, passent à côté de la volonté de Dieu, un nouveau peuple constitué de Juifs et, toujours davantage de païens, prend progressivement le relais du judaïsme. Les paraboles du Royaume soulignent que l’on se situe dans un mouvement, une sorte de temps intermédiaire, elles cherchent à aider à vivre au mieux ce temps : le royaume est appelé à devenir grand. L’expansion du christianisme et l’opposition des pharisiens poussent Matthieu à interpréter voire à réorienter l’enseignement de Jésus.
d) Jean, au début du 2è siècle, considère la crucifixion de Jésus comme une « élévation » : le ressuscité retourne vers le Père dont il est issu (cf. le verbe fait chair), et a le souci de tirer vers lui ceux qui croient en lui (quel que soit le peuple auquel ils appartiennent). Le salut est spirituel et non plus politico-religieux comme il l’était à l’origine au sujet de Jésus messie et sauveur de « son » peuple.
Très schématiquement, mais n respectant ce qui est propre à chaque évangile, on peut dire :
– que Marc invite à suivre Jésus, au quotidien et au concret de nos vies, dans la perspective du royaume attendu pour le peuple d’Israël. Si nous considérons cette invitation à suivre dans un contexte plus large, mondial peut-être, nous extrapolons déjà. Nous sommes invités à suivre Jésus selon des principes éthiques (notamment le respect du prochain) et, aujourd’hui, à nous demander quel « royaume », c’est-à-dire quelle terre, voulons-nous ?
– que Luc et Matthieu organisent l’enseignement de Jésus dans le sens d’un meilleur vivre ensemble, Dieu gardant le dernier mot (voir la parabole du jugement des nations, Matth. 25 : » chaque fois que vous avez fait du bien à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait « , dit le roi.
Les collections de paroles de Jésus aident dans ce sens. Relevons notamment :
– Le » sermon dans la plaine » de Luc et le » sermon sur la montagne » de Matthieu (chap. 5-7) : ce dernier commence par un appel à se lever pour sortir de situations difficiles à vivre, à se mettre en mouvement et à cheminer vers le bonheur, ou à le construire.
– Les humains croyants sont appelés à être » sel de la terre » et » lumière du monde » (Matth. 5), et à vivre dans la sincérité devant Dieu, sans se conformer à la volonté de façon hypocrite en cherchant uniquement son propre intérêt – il importe d’être, non de paraître (Matth. 6).
– Ils sont invités à vivre dans la justice en la construisant : » Que votre justice soit supérieure à celle des scribes et des pharisiens » (Matth.5, 20).
On sera sans doute très sensible à l’éthique de vie de l’évangile selon Jean, notamment en ce qui concerne le vivre ensemble :
– mettre en pratique un amour fraternel : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13, 34).
– être serviteurs les uns des autres : « comme je vous ai lavés les pieds, vous aussi… »
Mais ces propositions sont données à la communauté des fidèles des années 100, appelés à être sauvés, c’est-à-dire à quitter ce monde pour rejoindre le Père. Et déjà croyants. J’interprète en disant : qu’ils sont appelés à réintégrer le verbe originel.
Les pistes seront donc :
– Suivre Jésus et contribuer à construire, dans le sens où nous orientent les impulsions qu’il a données pour son peuple, un monde fait de fraternité et de justice ;
– vivre ensemble sous le regard de Dieu – sans oublier que nous faisons partie d’une même humanité dont nous ne pouvons pas nous désolidariser ;
– reconnaître que nous ne sommes pas nous-mêmes Dieu, ni même des petits dieux ; et que la réalité ultime est de l’ordre de ce qui nous dépasse.
Ernest Winstein
Notes :
Jésus refuse de se faire qualifier de » bon » : Au jeune homme riche : » Personne n’est bon si ce n’est Dieu seul (Marc 10,18)
Ceux qui croient que nous allons coloniser l’espace me paraissent bien prétentieux. Certes, si l’humanité ne se tue pas elle-même, des progrès technologiques sont possibles pour occuper dans l’univers un espace plus large, mais si nous oublions que nous n’avons pas les clés ultime, nous jouons aux apprentis sorciers et, j’en suis persuadé, mettrons nous-mêmes un point final à nos espérances démesurées.