L’homme est-il bon ?
Ernest Winstein : Aspects bibliques du questionnement
Introduction
La question » L’homme est-il bon ? » préoccupe non seulement les participants au café théologique, mais visiblement de nombreux internautes…
L’on se demandera lors de la discussion s’il s’agit d’une bonne question – il paraîtrait plus important de tenter de définir l’être humain…
Quelques considérations structurantes :
De prime abord, » être bon » consiste à avoir des rapports à autrui qui, littéralement, » font du bien « , en lui procurant du bonheur, du bien-être, en stimulant sa vie.
Dans le même ordre d’idée, le mal est ce qui porte préjudice à l’autre, ou qui le fait souffrir.
Mais on dit aussi qu’un homme est bon parce qu’il ne fait de mal à personne. Dans ce sens, il s’agirait du respect de l’autre, ou… de l’indifférence à son égard. Si l’autre a besoin de secours, cet homme soit disant bon, s’il n’intervient pas en faveur de l’autre, peut-il encore être appelé bon ?
L’homme naturel, c’est-à-dire pris dans son animalité ne serait pas mauvais – ainsi un animal n’agresse son congénère que s’il craint pour sa subsistance ou son territoire.
Qu’en dit la Bible ?
De prime abord, l’humain de la Bible est capable de tout : de bonté envers l’autre et de méchanceté. Serait-il donc incapable de bonté naturellement ?
Le texte qui nous vient assez spontanément à l’esprit est le poème sur la création du livre de la Genèse au chap. 1. Il s’y trouve dit que l’homme voulu par Dieu est bon, même très bon. Remarquons que ce qualificatif désigne autant la beauté de ce qui est créé que la capacité morale – toute la création est considérée comme bonne et belle.
Ensuite, il faut constater que ce texte est une confession de foi. Celui qui l’écrit – à partir de représentations mythiques, notamment babyloniennes, ou qui y met la dernière main – » croit » que l’humain est bon. Ce croyant ne fait pas la démonstration de la bonté de l’homme. Il croit en Dieu, il croit aussi en l’homme.
[Note : En hébreux, le terme utilisé « tov » se traduit par » bon « , mais encore par » doux » (cf. le chant : » Hinema tov…, Qu’il est doux de voir des frères… « ).
Il est donc dit que l’être humain est capable de bonté.
La suite de la Genèse montre qu’il est aussi capable du pire : du meurtre (Genèse 4).
Mais auparavant, le rédacteur du livre place l’histoire symbolique de la tentation d’Adam et d’Eve au jardin d’Eden (Genèse 3) :
Le rédacteur qui croit que Dieu a fait l’être humain » à son image » exprime bien que l’homme est libre de faire des choix. Eve et Adam sont tentés d’être comme Dieu. Ils choisissent d’aller au-delà de leurs limites. Ils ont oublié qu’ils sont liés à leur condition humaine et qu’ils ne peuvent être Dieu.
Ce n’est pas Dieu qui a fait de l’humain un être faillible. La dégradation de la condition de l’homme provient de sa tentation de prendre la place de Dieu. Adam et Eve cohabitent d’abord sans problème (ils sont nus). Ils vivent aussi face à Dieu sans problème. Il y a rupture à partir du moment où ils veulent être comme Dieu : rupture avec Dieu, et rupture entre eux deux : ils cachent leur nudité, ils prennent de la distance par rapport à l’autre. Le terme biblique (et non moralisateur) exprimant cette rupture est le mot » péché « .
Toujours dans le livre de la Genèse, on retrouve une sorte de volonté de puissance dans le cas Caïn et Abel (chapitre 4). Caïn jalouse Abel pour la place d’honneur sous le regard de Dieu.
L’histoire de Noë (Genèse 7) montre une attitude humaine opposée : Noë a la vie sauve parce qu’il choisit d’être ouvert à Dieu et, partant, devient sauveur d’une partie de l’humanité.
La suite du livre présente encore des cas et de lutte de pouvoir : Isaac, fils d’Abraham devient chef de tribu contre son frère et Jacob ravit la place à Esaü. Joseph, fils de Jacob, parce qu’il a la faveur du père, est jalousé voire haï par ses frères, jeté dans un puits, vendu comme esclave, mais rattrapé par Dieu, certainement parce qu’il est un homme – on ne dira pas » bon », mais » intègre « , juste, et c’est ainsi qu’il devient un grand intendant du pharaon.
Ces histoires plutôt mythiques ont une charge symbolique extrêmement forte!
Retenons que ces textes ne disent pas l’homme mauvais. Il est capable de choisir. Il est donc responsable de ce qu’il entreprend.
L’image de l’homme, implicitement ou explicitement exprimée par le livre de la Genèse, est celle d’un être tenté par le pouvoir. Il est conscient de son choix.
La société hébraïque s’est donnée un certain nombre de règles (notamment ce qu’on appelle le décalogue – Exode 20) pour favoriser le vivre ensemble. L’origine de ces règles a été attribuée à Dieu.
L’homme est ainsi considéré comme responsable vis-à-vis de Dieu. Mas ce sont les humains qui exécutent la sentence : L’infidélité des Hébreux qui dansent autour du veau d’or leur vaut la mort. Moïse en fait exécuter une quantité ; dans les termes actuels, on pourrait parler de crime contre l’humanité – mais rappelons que ces textes bibliques à l’allure de récits ne sont pas des textes historiques mais symboliques.
L’histoire d’Adam et d’Eve se répète sans cesse à travers l’histoire d’Israël : l’infidélité envers Dieu, la rupture (appelée » péché « ), est un thème favori des prophètes qui expliquent les déboires des rois par leur injustice envers leurs sujets, provoquée elle-même par leur non-écoute de Dieu : Israël est vaincu par les assyriens, la déportation est sans retour ; Juda est vaincu par les Babyloniens, – Jérusalem et le temple sont détruits, l’élite déportée.
» Chercher l’Eternel « , » pratique la justice « , sont des mots d’ordre favori d’Amos, par ex. 6,14 : « Recherchez le bien et non le mal, afin que vous viviez » ; v. 15 : « Haïssez le mal et aimez le bien, faites régner à la porte la justice ». Dans les malédictions qui précèdent, Amos dénonce les injustices : 5,12 : 3 « Vous opprimez le juste, vous recevez des présents; Et vous violez à la porte le droit des pauvres ».
Nous constatons que l’Ancien testament parle très peu de bonté, mais de fidélité à Dieu et de justice entre humains – la fidélité à Dieu impliquant celle-là.
Le Nouveau Testament qui exprime l’attente du messie et l’affirmation de son accomplissement en Jésus présente l’image d’un messie guidé par le sens de la justice qui doit être à l’image de la justice divine. Le cantique de Marie (Le « magnificat » dans Luc 1) célèbre Jésus comme messie qui fera tomber les inégalités.
Jésus, à travers son enseignement, rend attentif aux dérives de comportement qui portent atteinte à l’autre, non seulement quant à son corps, mais à l’être moral – voir les antithèses dans Matthieu 5, v. 21ss : on peut » tuer » par la parole.
Les béatitudes qui précèdent ces antithèses sont un appel au bonheur, non dans le sens d’une invitation à un bonheur béat, mais au choix et à l’action qui permettent d’atteindre une justice » plus grande » (voir le verset 20 de Matthieu 5) : heureux les » manquants d’esprit « , car ils sont ouverts à l’esprit (de Dieu) ; louange des débonnaires et des » assoiffés » de justice.
[Note : le terme grec « makarios », en général traduit par « (bien)heureux », signifie dans son essence « merveilleux » ; de « makar », qu’on traduit par bonheur. Le terme « bonheur » n’existe pas en hébreu biblique et qu’il est rare en grec biblique. Lorsque le mot bonheur que l’on rencontre dans les traductions bibliques, traduit l’adjectif hébreu « tov », qui peut être rendu par bon ou bien. Les bienheureux sont donc ceux que Dieu regarde avec faveur, parce que Dieu le trouve bons].
La » règle d’or » (Mth 6, 12) demande à faire à autrui ce que l’on attend d’eux : ce que vous voulez que les prochains fassent pour vous…
Le double commandement d’amour (Dieu et le prochain) évoque respect, ouverture, assistance.
Soyez miséricordieux Math 23,23 : » Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous payez la dime de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans le loi, la justice, la miséricorde et la fidélité » (cf. Amos 6).
On ne peut prétendre aimer Dieu sans aimer le prochain. L’ouverture à Dieu stimule la conscience de nos rapports à autrui.
Conclusion :
Nous découvrons dans la Bible une véritable trame : la bonté envers l’autre se trouve stimulée par l’ouverture de l’homme à Dieu. Les préceptes invitent à choisir une attitude de justice et à ce choix en oeuvre.
Plus qu’une qualité la bonté est une attitude morale ou éthique, du fait de la conscience que nous avons de l’autre, de la conscience que nous avons de nous-mêmes et que l’autre aide à révéler, de la conscience d’appartenir à un ensemble humain, la société.
L’homme est capable de faire des choix. C’est là une manière d’être à l’image de Dieu. L’homme est responsable de ces choix – devant Dieu, selon la compréhension biblique, dans un sens plus universaliste, devant la société dont il est partie prenante et intégrante. Albert Schweitzer parlera d’attitude éthique : celle-ci n’est pas dictée par une loi inexplicable, mais par la conscience que nous avons de l’autre et la conscience de notre statut d’être social.
E. W.