Témoins, comme les bergers et les anges
Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu et disant:
Gloire à Dieu dans les lieux très hauts,
Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée!
(Luc 2, 13-14)
Les anges seraient-ils, ce soir, après la vie turbulente qu’a connue la ville ces dernières semaines, plutôt dans nos… campagnes ?? Oui, à en croire les paroles du chant de Noël, les « anges dans nos campagnes » ! A en croire aussi le texte de l’évangile de Luc…
Mais quels anges ? Et qui sont-ils ? Convient-il de se les représenter avec des ailes, ou sans ? L’illustratrice de ce verset de Luc, Nathalie Leroy-Mandart, ne les a pas mises, les ailes, sur son dessin. Expressément ! En effet, les anges ailés n’apparaissent que progressivement dans l’histoire.
J’avoue avoir eu beaucoup de mal, il y a certes, bien longtemps de cela, avec l’idée d’anges, créatures s’il en était, troublantes, insaisissables, fuyantes, peut-être. Jusqu’au jour où je compris le sens du mot qui est celui de messager, « angelon » en grec, qui donnera aussi « Engel » en allemand. D’où, aussi, l’appellation d’ « évangile » pour les écrits dont nous disposons sur Jésus : « euangelion » signifie « joyeux message ».
Mais alors, du coup, toute la poésie autour des anges ne tombe-t-elle pas à plat ?
A en croire encore Luc, si nous prenions au pied de la lettre son texte, la rencontre des bergers et de la multitude angélique céleste est plutôt détonante, tonitruante : ces bergers rugueux et peu soucieux d’une vie pieuse, et ces messagers de l’intimité de Dieu louant Dieu, n’ont apparemment rien en commun.
Et pourtant, voilà précisément que c’est l’enfant dans la crèche qui les rapproche. Jésus en devient le dénominateur commun.
Le message de la naissance, pour nous aussi, ce soir, tient certainement dans cette constatation-là : Jésus réunit – nous avons dit dénominateur commun – des gens de sensibilité variée, ou même que la vie oppose, sont de cette même terre dont nous sommes issus. Cette terre qui nous accueille, qui est donc aussi notre richesse, – et nous n’oublions pas qu’il y derrière cette vaste réalité que notre conscience permet de saisir, de palper, une réalité plus grande. A cette « grandeur » la multitude des anges rend hommage.
Quand aux bergers, ils sont peut-être plus proches de nous, plus humains, attirés spontanément par cette lumière qu’exprime la naissance d’un enfant et viennent lui apporter la chaleur de leur présence. Et ils en sont témoins !
Témoins de la présence de Dieu, qu’ils ont ressentie, peut-être un peu à leur corps défendant, mais capables de voir, parce qu’ils ont été ouverts à cette lumière. Les couleurs de l’arc-en- ciel que déploie sur l’illustration la multitude des anges veulent rappeler l’alliance, la présence, la reconnaissance par l’homme de la main tendue de Dieu.
Et les bergers en devenir les premiers témoins.
C’est bien la vie qui prend tout à coup un sens, une orientation, – un sens neuf, une orientation nouvelle, du fait de cette lumière jetée sur un chemin qui ouvre une perspective.
Le décor de Noël qui prend de l’ampleur au fil des ans et des siècles, n’enlève rien à l’humanité de Jésus qui n’a rien à envier à la nôtre, celle d’un chacun. Nous exprimons dans nos chants, nos textes, nos prières, que Dieu est proche de lui, et qu’il l’est pour nous, comme il l’a été pour lui.
Notre reconnaissance va vers lui, pour toutes ces petites et grandes choses qui nous font vivre, ces petits liens ou mot ou regards de sympathie, d’amitié, de soutien, expression de la force de vie, que nous laissons aller à d’autres, ou que nous recevons d’eux. La vie prend tout son sens à travers ce tissage interhumain. Elle puise à cette source « paix » que proclament les anges, – pardon ! les messagers.
Quant à nous, que nous nous sentions plus dans l’intimité de Dieu, comme les anges de la multitude, ou plus proches des bergers, peu pratiquants dirions-nous aujourd’hui, mais néanmoins intéressés et ouverts à la lumière et à la présence divine, nous devenons le plus naturellement du monde, à notre tour, « anges », oui, messagers de cette présence dans le monde. Et si la route est dure, si nos témoignages ne s’accordent pas forcément de manière idéale, le dénominateur commun en est cet enfant dans la crèche, auquel nous venons rendre hommage ce soir, lumière de Dieu dont nous chantons la gloire.
Ernest Winstein
Saint-Guillaume le 24 décembre 2006